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Les Histoires Fantastiques de STEPHAN LEWIS

2 septembre 2011

STEPHAN LEWIS

Ces Etres étranges,
 
venus d'un autre monde ...
 
Blog de Stephan LEWIS
 
Intrigues et Surnaturel
 
Aux frontières du Fantastique
 
Blog de Stephan LEWIS
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Les romans fantastiques de Stephan LEWIS 
 (sur les Grands Mystères de l'Univers) sont   
 Disponibles dans toutes librairies francophones et grandes surfaces, ainsi que sur les sites grand public internet de vente par Correspondance suivants : ALAPAGE - AMAZON - LE FURET - AUCHAN Librairie - CARREFOUR.Livres - CHAPITRE.COM - EYROLLES - LOUSONNA - FNAC - CDISCOUNT - ABEBOOKS - RUE DU COMMERCE - RUE DES LIVRES - ELLYPSE Suisse - etc ... disponibles également en librairies : Suisse, Angleterre, Japon, Argentine, Guyane, Martinique,  Guadeloupe, etc ...
 
 
 Vous pouvez contacter Stephan LEWIS

par e-mail sur son adresse courriel :

 FANTOME a VENDRE@aol.com

    Légendes, mythes et faits mystérieux jonchent l'Histoire.  De nombreuses énigmes restent encore aujourd'hui non élucidées, malgré les progrès de la science. En effet, certains événements résistent à toute explication rationnelle.
      Dans notre ciel volent d'énigmatiques objets. Sur notre terre s'érigent des monuments dont nous ne connaissons pas la destination. Dans notre sol sont enfouies des constructions n'appartenant à aucune civilisation connue. Le mystère est partout et ni notre science, ni notre histoire ne peuvent lui apporter de réponse. Aujourd'hui encore, la question de l'apparition même de l'homme n'est pas encore élucidée. Nous ne savons finalement pas grand chose sur l’histoire de notre planète et donc la nôtre. Pour preuve, l'abondance des hypothèses émises un jour et aussitôt remises en cause le lendemain.
      Cela donne la mesure de notre ignorance, mais également de notre insatiable curiosité à trouver une explication logique à notre destin.

       Je vous souhaite une excellente visite de mon site à travers toutes mes histoires insolites et ces phénomènes de l'étrange, mais attention aux frissons !!!!!!!!!!!!!!

Vous pourrez lire successivement, et dans l'ordre
 
de l'oeuvre de Stephan LEWIS :
 
- L'Enigme de la Dame Blanche
-  Le Parapluie
-  Le Manoir de la Terreur
-  Le Cimetière
-  Le Téléphone
-  Le Manuscrit des Ombres
-  Les Enfants des Etoiles
-  Le Mystère de l'île des Géants
-  Le Secret des Pierres d'Ica
-  Les Sondeurs du Temps
-  Le Livre de Dzyan
-  Les Prisonniers du Monde Perdu
-  Sur la Piste du Graal

 

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2 septembre 2011

L'Enigme de la Dame Blanche

L'ENIGME DE

LA DAME BLANCHE

 

Stephan  LEWIS

 

 

L'Enigme de la Dame Blanche - de Stephan LEWISL'Enigme de la Dame Blanche - de Stephan LEWIS

 

  

        12 juin 2002 ... 

        
         Il est un peu plus de vingt deux heures ...

       
        Un sexagénaire à l’aspect distingué reflétant visiblement le flegme britannique, roule tranquillement pleins feux au volant de sa Jaguar E sous un ciel piqueté d’une myriade d’étoiles. L'esprit ailleurs, il se dirige vers Lavelanet, petite commune de l’Ariège.

       
        Il vient de dépasser la bretelle de Foix et il ne lui reste qu’une dizaine de kilomètres à parcourir. D’un geste machinal, notre homme allume la radio et prête une oreille distraite aux nouvelles condensées, que donne une speakerine à la voix agréable. La nuit est lumineuse, l’air tiède et malsain. Le véhicule vient de négocier un virage serré, lorsque dans le faisceau de ses projecteurs le chauffeur distingue une forme blanche plantée au milieu de la chaussée à moins d’une cinquantaine de mètres de distance. Surpris, il décélère jusqu’à stopper à hauteur d’une jeune fille toute de blanc vêtue.

       
        Il fait aussitôt coulisser sa vitre...

        
        - Bonsoir mademoiselle ... Vous allez vous faire renverser ! Que faites-vous donc par ici à pareille heure ?... s’étonne ce dernier en s’exprimant avec un léger accent anglo-saxon.

        
        - Je me rends à Lavelanet... Pouvez-vous m’emmener en ville ? C’est là que j’habite... indique la jeune personne d’une voix sourde et mécanique, dont le visage reflète une pâleur des plus singulières.

        
        Bien que surpris par la tonalité de sa voix, le conducteur lui a retourné un sourire pincé, mais indulgent. Avec un léger haussement des épaules, il s'est incliné pour lui ouvrir galamment la portière et l’invite à s’installer sur le siège avant. Puis le véhicule poursuit aussitôt sa route ...

        
        Chemin faisant, notre homme détaille furtivement sa passagère à la dérobée, d’un œil réservé et discret par-dessus ses petites lunettes qu’il porte sur le bout du nez ... 19-20 ans. Vêtue d’une robe blanche très années 60. Plutôt agréable à regarder, bien que curieusement pâlotte et ... peu bavarde, ne soufflant même le moindre mot. L’autoradio qui diffuse un programme de musique légère, meuble à lui seul cette morne atmosphère.

        
        Le chauffeur fait encore quelques tentatives pour nouer conversation, mais ses efforts demeurent toutefois infructueux, sa passagère ayant adopté une passivité quasi alarmante. Elle demeure inexplicablement silencieuse et immobile, un peu raide sur son siège, étrangement indifférente à tout ce qui l’entoure, presque absente.

        
        Ils roulent depuis maintenant une dizaine de minutes. Un silence gênant, presque pesant règne à bord, lorsqu’une pluie tiède et pénétrante se met soudainement à tomber avec une extrême violence. De grosses gouttes s’écrasent sur le pare-brise, alors que la  berline vient de dépasser le panneau signalant leur destination.

        
        La pluie s'abat bientôt en un véritable déluge, comme si une main géante avait ouvert un titanesque robinet. Une bourrasque souffle même soudainement sur la commune, tandis que la Jaguar emprunte la rue principale totalement désertée, éclairée succinctement par quelques enseignes au néon restées allumées.  

       
        La jeune fille désigne bientôt une habitation à peine distincte, perdue au fond d’un grand parc.

       
        - C’est ici que j’habite... indique-t-elle d’une voix plutôt froide, en remuant à peine les lèvres.

       
        N'y accordant aucune attention particulière, le conducteur lui propose courtoisement son imperméable, le temps pour sa passagère occasionnelle d’aller quérir un parapluie afin d’être en mesure de lui restituer son bien.

       
        Sans la moindre formule de remerciement pour son bienfaiteur, elle a jeté le vêtement de pluie sur ses frêles épaules avant de se diriger d’un pas lent vers le lourd portail qui s’est ouvert en grinçant sinistrement. Puis, elle s'est fondue dans la nuit.

        
        Son moteur tournant au ralenti et après avoir essuyé la buée qui se déposait sur la vitre d’un revers de la main, le chauffeur enfonce une allumette craquante dans le fourneau de son brûle-gueule. Il décide de patienter en écoutant distraitement la radio, sous l’égrenage incessant des va-et-vient monotones de ses balais d’essuie-glace qui se sont emballés pour chasser le voile hydrique ruisselant en continu sur le pare-brise.

        
        La rue est à présent balayée par des trombes d’eau qui se déversent sur la bourgade prise au sein d’un violent orage.

        
        Dix minutes se passent au cœur d’un silence seulement troublé par les battements de la pluie torrentielle qui a redoublé d’intensité, sans que la jeune fille n’ait refait son apparition.

        
        Après avoir réprimé un mouvement d’impatience assorti d’un soupir de lassitude, le conducteur s'est rangé prudemment sur le côté de la chaussée contre la bordure du trottoir. Il coupe les gaz et éteint ses phares. Puis, il relève frileusement le col de son veston pour se ruer, la tête rentrée dans les épaules, sous la pluie battante et le vent qui souffle en rafales, en direction du portail resté entrouvert.

        
        Il traverse à présent le parc d’un pas pressé en frissonnant dans la nuit froide. Après avoir gravi les quelques marches menant au perron de l’habitation, il a trouvé refuge sous le porche protecteur de la porte d’entrée.

        
        Un léger trait de lumière filtre à travers les volets de l’une des grandes baies vitrées. Avec un geste d’humeur, il s’éponge succinctement le visage, chasse nerveusement une mèche rebelle collée sur son front partiellement dégarni et essuie précautionneusement les verres de ses binocles. Sa redingote ruisselle de pluie, aussi se décide-t-il sans plus attendre et au risque qu’on le prenne pour un importun, à utiliser la sonnette ...

        
        - Quel toupet !... murmure-t-il entre les dents... La jeunesse d’aujourd’hui est d’une ingratitude !

        
      Le parc vient de s’illuminer, dévoilant ses pelouses verdoyantes et les massifs fleuris qui le tapissent… Mais la porte s'entrouve craintivement sur un homme âgé et squelettique, au faciès en lame de couteau et aux cheveux blancs. Il porte un vêtement d’intérieur. La mine étonnée et méfiante qu’il affiche ne surprend pas outre mesure son visiteur, étant donné l’heure avancée de la nuit.

        
        - Cher monsieur, pardonnez mon intrusion à cette heure tardive ... s’excuse ce dernier sur un ton empressé en prenant un air navré assorti d’un sourire gaufré... J’aurais souhaité récupérer la gabardine que j’ai prêtée il y a un quart d’heure à la jeune personne que je viens de déposer.

       
        Le vieil homme le dévisage d’un air interloqué à l’instant où surgit à son tour une femme d’un âge avancé, certainement l’épouse, accourue à la rescousse. Elle lui retourne elle aussi un regard sans équivoque, empreint d’une évidente suspicion.

       
        - Il n’y a aucune jeune personne ici... rétorque le vieillard d’une voix sèche et courroucée, visiblement sur ses gardes... Vous devez vous tromper d’adresse monsieur. Il y a assurément erreur... ajoute-t-il d’un air farouche en ébauchant même un geste d’indifférence, voire de mauvaise humeur.

       
        Poussée par une main rageuse, la porte a claqué au nez de ce visiteur visiblement indésirable.

        
        L’attitude du maître de maison, aussi inconvenante qu’inattendue, a pour conséquence d’exaspérer notre homme, lui faisant même perdre une bonne partie de son flegme naturel. Après avoir haussé les sourcils et s’être difficilement contenu, il ne renonce pas pour autant, mais fait aussitôt une seconde tentative avec un air déterminé.

        
        Et la sonnette tinte une nouvelle fois...

        
        La porte s’est de nouveau ouverte sur le maître de maison, visiblement agacé. Son visage, empourpré du rouge d’une colère naissante, reflète à présent la mauvaise humeur. Sa voix se hausse même au diapason de l’exaspération ...

        
        - Que voulez-vous enfin monsieur ! ... Permettez-moi de vous faire remarquer que votre insistance s’avère des plus déplacées ! Allez-vous continuer encore longtemps cette plaisanterie de mauvais goût ?... fulmine-t-il, exaspéré, saisi d’un énervement manifestement incontrôlable.

       
        L’autre paraît littéralement secoué par la surprise...

        
        - Calmez-vous mon ami ! Je m’excuse encore une fois de devoir vous importunerde la sorte et je conçois parfaitement l’incongruité de ma visite à pareille heure. Mais j’ai cru faire plaisir à cette jeune personne qui errait sur la route en la ramenant chez elle. Avec ce fichu temps, je lui ai même prêté mon imperméable. Et voici le résultat !... argumente ce dernier en se passant une main agitée sur ses vêtements mouillés.

        
        - J’habite seul ici avec mon épouse... s’emporte maintenant le vieil homme sur un ton irrité et peu amène, assorti d’une agressivité à peine masquée... Vous n’allez quand même pas nous rejouer cette comédie à tour de rôle !

        
        - Que voulez-vous dire ?

        
        - Ne faites donc pas l’innocent ! Il y a plus d’un mois que cette mauvaise farce persiste ! ... Et à chaque fois qu’il pleut !... indique-t-il avec âcreté, la moue exaspérée, en tendant un doigt accusateur en direction de celui qu’il considère certainement comme un plaisantin de mauvais goût, flanqué d’un importun personnage.

        
        - Mais ... Je vous assure que je ne comprends pas !

        
        - Bon ... Je veux bien vous croire... admet enfin le vieillard d’une voix soudain déconfite, assortie d’un soupir d’énervement... Vous êtes peut-être sincère après tout. Mais rendez-vous compte ! Vous êtes la quatrième personne à nous réclamer soit un parapluie, soit un ciré, ou encore un imperméable prêtés à je ne sais quelle jeune personne censée habiter cette demeure !

        
        Devant l’air ahuri affiché par son interlocuteur de passage, le maître de maison paraît cette fois perplexe. Sa lèvre s’est gonflée en une moue d’ennui. Il semble tout à coup enclin à de meilleures intentions. Le ton employé s’est même subitement radouci ...

        
        - Bon... Entrez ... Nous serons mieux à l’intérieur ... Quel temps de chien ! Et cette maudite bourrasque ! Pardonnez mon emportement, mais nous sommes sur les nerfs. Si cette plaisanterie au demeurant stupide persiste, nous finirons par aller déposer une plainte au commissariat.

        
        - Je vous certifie pourtant avoir vu cette jeune personne s’introduire dans votre propriété et je puis vous assurer qu’elle n’en est pas ressortie. Je suis formel... insiste le visiteur.

        
        - Nous ne comprenons rien à cette comédie... confie à présent l’homme d’une voix crispée, visiblement au comble de la contrariété... Et je vous garantis que personne, à part vous, n’est entré ici ce soir.

        
        Ils sont à présent dans le couloir. Le visiteur a croisé le regard hostile de la femme qui, sans la moindre indiscrétion, a retourné un œil désapprobateur envers son époux, lui signifiant certainement par là qu’il avait eu tort d’ouvrir leur demeure à cet étranger dont elle désapprouve visiblement la présence, la jugeant même manifestement désobligeante.

        
        - Permettez au moins que je me présente... suggère toutefois ce dernier, plutôt confus, en lui adressant un sourire contraint, conscient de jouer ici et involontairement le rôle de l’intrus, de l’indésirable... Je suis le professeur Joseph Winter. Je reviens d’un congrès qui s’est déroulé à Perpignan et ...

       
        - Le professeur Winter ! Le célèbre archéologue ! J’aurais dû vous reconnaître ! On parle si souvent de vous à la télévision et dans les journaux... s’enthousiasme subitement le mari d’une voix confuse, la mine soudain penaude... Vous êtes Britannique n’est-ce-pas ? Mais vous possédez une propriété près d’ici. A Montségur, si je ne m’abuse ?... et le vieil homme semble à présent ne plus vouloir tarir d’éloges sur son visiteur.

       
        - J’étais justement en route pour regagner mes pénates... précise ce dernier avec un sourire discret, à la fois soulagé et visiblement satisfait de la notoriété dont il semble jouir en ces lieux.

        
        - Excusez-nous professeur, mais depuis quelque temps, nous sommes devenus méfiants... s'empresse de bredouiller à son tour la femme, au terme d'un silence gêné... Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune homme d’une vingtaine d’années peut-être, plutôt vulgaire d’ailleurs, nous a dérangés à peu près à la même heure pour nous conter à peu de chose près les mêmes faits, alors qu’il faisait également un temps épouvantable. Il prétendait lui aussi avoir raccompagné une jeune femme jusqu’à la grille du parc et lui avoir prêté son parapluie. Cette jeune personne l’aurait aussi prié d’attendre qu’elle revienne avec le sien pour lui restituer son bien.

       
        - C’est étrange ... vous me dites que les conditions climatiques étaient identiques à cette nuit... relève Winter, perplexe.

        
        - Je vous prépare une tasse de thé professeur. Cela aidera peut-être à vous faire oublier notre emportement... propose cette fois la femme, devenue soudainement prévenante, invitant même son visiteur à pénétrer dans la salle à manger avec un geste d’insistance.

       
        Winter consulte rapidement son bracelet-montre...

        
        - Vous êtes très aimable chère madame ?...  observe-t-il en esquissant un sourire d’amabilité, butant volontairement sur le patronyme.

        
        - Devaux ... Monsieur et madame Devaux... se hâte de préciser le mari.

        
        - Je vous remercie de votre obligeance madame Devaux, mais j’ai déjà perdu un temps précieux et vous m’en voyez sincèrement navré. Je ne puis m’attarder davantage ... Tant pis pour ma gabardine. Il faut croire que cette jeune personne qui vous joue cette farce collectionne, à votre insu, les vêtements et les accessoires de pluie... présume Winter avec un sourire contraint... N’excluons toutefois pas la possibilité d’une plaisanterie d’un goût dirons-nous ... douteux. Mais enfin ...

        
        Sans autre commentaire, il s’est déjà hâté vers la sortie, lorsqu’il jette un œil oblique et distrait sur le bahut de la salle à manger … Il n’a pu retenir un tressaillement, tandis que son regard s’attarde sur l’une des photos encadrées qui garnissent le buffet. Fronçant les sourcils dans un tic qui lui est familier, il a marqué un temps d’arrêt. Ses hôtes de circonstance, sans comprendre, ont à leur tout dirigé leurs regards dans la même direction, sans toutefois interpréter la réaction étrange du professeur.

        
        - La jeune fille, sur cette photo !... s’étonne ce dernier en se penchant sur le portrait.

        
        L'ombre d'une profonde tristesse est passée dans les yeux gris du vieil homme et son visage s’est subitement creusé.

        
        - C’est notre petite Sarah... murmure-t-il, en étouffant un soupir haché.

        
        - Elle nous a quittés il y aura bientôt trente ans ... Elle est décédée dans un accident de la circulation... complète la femme d’une voix rendue rauque par l’émotion, détournant presque aussitôt son regard... Elle venait d’avoir ses vingt ans. Elle repose dans le petit cimetière, près de notre maison.

        
        Cette fois, le professeur a haussé les sourcils ... Sans en demander l’autorisation, il s’est emparé du cadre renfermant la photographie qui représente une jeune fille au sourire moqueur et insouciant, assise en amazone sur une moto.

       
        - Ou votre fille a une sœur jumelle, ou... extrapole-t-il en hésitant, détaillant les Devaux d’un œil indiscret par-dessus ses binocles.

        
        Les intéressés ont échangé des regards interdits et Paul Devaux considère tout à coup Winter d’un air interloqué.

        
        - Nous n’avons eu que cette enfant... murmure-t-il, la lèvre inférieure légèrement tremblante en exhalant un nouveau soupir.

        
        - Que voulez-vous dire professeur ?... s’étonne à son tour l’épouse.

        
        Un embarras marqué s'est dessiné sur le visage de Winter qui examine à présent la photographie avec une attention soutenue.

       
        - Cela va certainement vous paraître absurde, mais la personne qui se trouvait   tout à l’heure dans ma voiture ressemble à s’y méprendre à votre fille... finit-il par avouer avec une moue de tergiversation.

        
        La femme a pâli. Son époux a sursauté. Ils échangent maintenant tous deux des regards effarés.

        
        - C’est impossible... objecte ce dernier d’une voix étranglée... Vous avez... tente-t-il d’ajouter sans pouvoir terminer sa phrase, ses yeux gris semblant implorer une explication.

        
        Le désarroi s’est manifestement emparé du couple, visiblement paralysé par l’émotion. Le coup a été rude et difficilement encaissable, accentuant l’embarras du professeur. Celui-ci se trouve à présent dans la plus totale expectative, regrettant amèrement d’avoir ainsi jeté le trouble dans la demeure pour avoir remué involontairement des souvenirs depuis longtemps enfouis et par trop pénibles à évoquer.

        
        - J’avoue toutefois qu’avec l’obscurité... argumente-t-il alors gauchement avec une maladresse quasi étudiée, conscient de cette équivoque et tentant à présent de se reprendre avec un frisson de regret dans la voix... Et puis, il est vrai que cette jeune personne est restée de marbre durant le trajet. Nous n’avons échangé que quelques brèves banalités ... Après tout, j’ai très bien pu me tromper ... Et si vous me dites qu’elle était votre unique enfant ... Pardonnez mon erreur... finit-il par bredouiller, plutôt contrarié de s’être fourré dans une situation aussi délicate. Puis, après un ultime instant d’hésitation... Il est temps que je reprenne la route... argumente-t-il en toussotant... Fort heureusement, il ne me reste qu’une douzaine de kilomètres d’ici Montségur. Ravi d’avoir fait votre connaissance... ajoute-t-il en esquissant un sourire gêné, saluant ses hôtes occasionnels d’une main tendue, masquant maladroitement sa déconvenue. Puis, sans plus se faire prier, il s’est dirigé vers la sortie, suivi du couple qui semble à présent agir à la façon de deux automates, absent et le regard lointain, vide de toute expression.

        
        Trempé de la tête aux pieds, le professeur Winter a repris place au volant de sa Jaguar. La mine dubitative, son regard erre d’abord au hasard, épiant les alentours de la propriété. Puis, il détaille les environs avec une attention soutenue, guettant l’hypothétique apparition de la mystérieuse et audacieuse jeune fille. Mais l’endroit reste désert.

        
        Plus qu’à son tour partie prenante pour les intrigues et dévoré par une curiosité quasi pathologique, une étrange intuition vient de lui traverser l’esprit ...

        
        Les époux Devaux lui ont bien précisé que leur fille était enterrée dans le petit cimetière contigu à leur habitation ! Celui-ci doit donc se trouver dans le voisinage.

        
        Il se gratte pensivement la nuque, la mine réfléchie, étouffant trois ou quatre bâillements. Puis, avec des gestes lents trahissant sa perplexité, il a allumé sa courte pipe et contemple durant un instant les volutes de fumée bleue qui s’étirent paresseusement vers le plafonnier, en tapotant machinalement le cuir de son volant. Notre homme est visiblement intrigué, hésitant encore sur la décision à prendre, mais qui maintenant s’impose malgré l’heure avancée ... Dehors, la pluie a cessé de tomber ... Après une dernière hésitation et bien qu’il ne soit pas loin de vingt trois heures, son sens inné de la curiosité finit par prendre le dessus. Aussi se décide-t-il brusquement à en avoir le cœur net. Après avoir emprunté une lampe électrique dans le vide-poches, il abandonne une nouvelle fois son véhicule pour longer les murs du parc des Devaux.

        
        Il n’a parcouru qu’une cinquantaine de mètres, qu’il est déjà rendu devant l’entrée du cimetière. Les grilles sont ouvertes, mais les lieux ne sont pas éclairés. La nuit est noire, épaisse et inquiétante, aussi se glisse-t-il comme une ombre dans l’allée menant aux tombes.

        
        La silhouette sombre des arbres et la brise un peu forte qui agite les branches qui bruissent dans les ténèbres créent une atmosphère angoissante. On ne perçoit plus que le léger bruit de son pas qui crisse sur le gravier. C’est le cœur battant la chamade, qu’il est arrivé en vue des premiers tombeaux.

        
        Les pinceaux de sa lampe fouillent fébrilement l’obscurité. Impressionné par le silence et la solitude qui règnent dans l’endroit, il inspecte minutieusement chaque sépulture, à la recherche de celle portant le nom de Sarah Devaux … Mais il vient de tressaillir à l’approche d’un tombeau ... Il en reste même figé de saisissement ... Une boule d’angoisse lui bloque la gorge ... Ce n’est pas le patronyme gravé sur la pierre qui en est responsable. C’est le vêtement de pluie qu’il vient de reconnaître pour être le sien et qui recouvre le caveau sur lequel il lit avec stupéfaction ... « Ici repose Sarah Devaux. »

 

2 septembre 2011

Le Manoir de la Terreur

Quelques petits frissons ne vous feront aucun mal,
mais ... sait-on jamais !!!!

                                                          S. Lewis
 
Stephan LEWIS
 
Le Manoir de la Terreur
 
Le Manoir de la Terreur - de Stephan LEWIS 
 
Vendredi 16 mai … 16 h 27 …

            
        Le visage creusé, assombri d’un voile de fatigue, Sylvia  est sortie précipitamment de l’agence immobilière de La Rochelle au sein de laquelle elle assume les fonctions de négociatrice principale. Il s’agit de faire vite pour répondre au coup de téléphone qu’elle vient de recevoir. Un client, qui n’a pas décliné son identité, désire visiter le manoir de Cornelius. Une occasion inespérée, qui n’est certainement pas prête de se représenter !

       
      
  Contrairement aux derniers jours, la journée avait pourtant été calme, sans le moindre rendez-vous, la clientèle s’étant faite plutôt discrète. Sylvia s’était même assoupie sur son bureau, rêvant déjà aux mille et une choses qu’elle se préparait à faire durant le week-end, avant d’être rendue à la réalité par la sonnerie intempestive du téléphone qui l’avait brusquement sortie de cette somnolence passagère.

         
        Jamais elle n’aurait pu imaginer qu’un éventuel acquéreur puisse s’intéresser à cette bâtisse bizarre, vieillotte et biscornue, campée dans un parc au gazon pelé, enclavée dans un paysage de friches industrielles. Lorsque le responsable de l’agence l’avait chargée de prendre en main la vente de cette gentilhommière construite dans la seconde moitié du XIX° sur les fondations d’une ancienne abbaye bénédictine d’un pittoresque effrayant, elle avait accueilli la nouvelle avec une grimace de dépit.

         
        Le bâtiment est en effet plutôt " mal en point ", semblant même à l’abandon … Son solage de vieilles pierres s’effrite. Ses murs lézardés sont rongés par une mousse roussâtre, donnant l’impression de résister péniblement aux grands vents d’hiver et aux pluies rageuses. Quant au châssis de ses fenêtres aux vitres poussiéreuses derrière lesquelles on croirait voir passer d’inquiétantes silhouettes, il aurait besoin d’un sérieux rafraîchissement … Cet immeuble de style victorien est le reflet archétype de la maison hantée, qui inspire tant les auteurs de romans d’épouvante et les scénaristes du même crû. Alors, vous comprendrez que dans ces conditions, il semble difficile d’imaginer qu’un acheteur potentiel puisse s’intéresser à ce repère froid, sordide et effrayant !

        
        Son dernier propriétaire, un étrange personnage du nom de Cornelius, jouissait d’une sinistre réputation. Victime d’une crise cardiaque quelques mois auparavant, il avait définitivement quitté les lieux pour cracher son âme au diable. Il y avait vécu en solitaire, comme un ermite, toute sa vie durant, à l’écart de tout voisinage. L’inquiétante et fantastique demeure aux intrigues ténébreuses n’avait, disait-on, jamais reçu de visiteur. D’ailleurs, la frayeur qu’inspirait le manoir à toute la population était telle, que pas un seul habitant ne s’y était encore risqué. Ils se signaient le front en passant devant ou l'évitaient.

         
        Il est d'ailleurs à noter une certaine réserve de leur part ... Certains d'entre eux ne sont pas sans évoquer les maléfiques activités et l'obscure personnalité de l'ancien propriétaire des lieux.  Ils vont même jusqu’à colporter le bruit selon lequel le décès de l’étrange bonhomme masquerait une vérité atroce assortie d’un terrible secret, cachant d’obscurs forfaits. Si l’on se fie aux rumeurs, les nuits de pleine lune des cris et des bruits étranges s’élèveraient de l’antique demeure. Entre ces murs se seraient déroulés des faits anormaux et inexplicables. Des incidents bizarres, associés à des phénomènes déconcertants, auraient même défrayé la chronique quelques jours avant sa mort … Du reste, des plaintes concernant des événements insolites auraient été enregistrées … Et Cornelius aurait emporté dans la tombe d’inavouables secrets.

         
        En dépit d’un testament stipulant que la maison devait rester dans le grison familial, son seul héritier bénéficiaire, un petit-neveu par alliance désigné comme légataire universel, avait malgré tout et aussitôt manifesté hâtivement son désir de se séparer de l’immeuble et de la totalité du mobilier concerné, bien qu’il ne soit nullement dans le besoin. Il en avait confié la vente à l’agence.

         
        Le rendez-vous avec cet hypothétique acquéreur ayant été fixé au lendemain dans la matinée, Sylvia n’a donc que peu de temps pour s’assurer que tout est en ordre à l’intérieur de cette singulière demeure. Elle ne s’y était pas encore aventurée, ayant estimé, de toute évidence, qu’elle n’était pas à la veille d’en obtenir un compromis de vente.

        
        Contre toute attente, la voici néanmoins rendue devant cette imposante et glaciale habitation aux intrigues ténébreuses, qu’elle détaille d’un regard méfiant à travers les glaces de sa clio. Elle n’est pas sans évoquer l’hitchcockienne résidence de Rebecca. Isolée dans un grand parc tapissé de buissons et de ronces, planté à l’écart de toute vie civilisée, sa masse sombre et farouche ressemble à s’y méprendre à un monstre aux aguets. Le décor semble avoir été étudié aux fins de privilégier le fantastique et l’imaginaire, avec l'intention quasi évidente d’exposer les lieux aux agressions surnaturelles. Pas étonnant que l’endroit jouisse d’une si mauvaise réputation ! Une pesanteur, une angoisse indescriptible même, semblent suinter des murs de cette abominable bâtisse au demeurant hostile, de laquelle paraît sourdre une menace latente.

       
        Avec un soupir de résignation,  elle est descendue de sa voiture. D’une main hésitante, elle a poussé la grille de fer forgé défendant l’accès au domaine, dont la façade de lierre pendu aux crevasses de ses murailles reflète l’abandon et la tristesse.

        
        C’est à présent avec appréhension qu’elle traverse le parc en visiteuse téméraire et imprudente. Avec une moue angoissée, elle a gravi les quelques marches du perron conduisant au portail surmonté d’un marteau sculpté. Après avoir attendu impatiemment que son angoisse se dissipe, elle introduit la clé dans la serrure de la porte d’entrée. Elle l’entre-bâille craintivement en esquissant une grimace de contrariété avant d’en franchir le seuil, s’efforçant à présent de penser au plaisir de se faire peur, bien qu’elle ne soit pas spécialement friande de sensations fortes, mais faisant plutôt contre mauvaise fortune bon cœur. Une terrible appréhension s’est emparée de tout son être. Elle a subitement la désagréable sensation que la porte s’est refermée d’elle-même.

        
        Le cœur battant à un rythme endiablé, elle a inconsciemment retenu son souffle avant de se glisser timidement et comme une ombre à l’intérieur de l’étrange demeure lourde et silencieuse.

       
        Elle se risque à présent dans le grand couloir. La statue grotesque et inquiétante du démon Asmodée, le diable boiteux à l’aspect démoniaque et au regard hypnotique, postée en sentinelle, accueille les visiteurs éventuels. Son aspect terrifiant les met d’office dans l’ambiance, avec le désir évident de les placer en situation de complète insécurité. Tout ici respire la moisissure et il y flotte comme une odeur de souffre. D’autres remugles aux origines peu avouables se mêlent à ces relents peu engageants.

       
        Les portraits des habitants successifs du manoir qui recouvrent les murs semblent se déformer à son passage, ce qui n’est pas pour la rassurer dans cette obscurité qui la pénalise. Etant donné l’urgence de la situation, l’agence n’a pas eu le temps de faire remettre l’installation électrique en service. Heureusement, Sylvia s’est munie d’une torche pour parer à cet inconvénient. La bâtisse se révèle opaque dans ses moindres recoins, malgré les craintifs rayons de soleil qui s’infiltrent timidement au travers des persiennes ajourées, donnant l’impression que les objets sont éclairés par une lumière sépulcrale.

       
        Elle a franchi les derniers mètres la séparant du grand salon. Il y règne un froid singulier. Des chuchotements et des plaintes semblent chuinter de ses murs recouverts de boiseries. Le portrait suspendu au-dessus de la monumentale cheminée en pierre représentant un homme âgé au visage parcheminé, ridé et desséché, pareil à un démon vomi par l’enfer, a immédiatement attiré son attention. Ce ne peut être que celui de Cornelius. Ses yeux au regard froid et agressif semblent suivre ses moindres mouvements et condamner son intrusion. L’œil terrible, glacial et accusateur qu’il paraît  porter sur cette importune visiteuse est sans équivoque, semblant lui reprocher la profanation de ces lieux au demeurant interdits, ce qui la fait frissonner. Durant quelques secondes, Sylvia a même eu la désagréable sensation que l’horrible portrait la menaçait de son doigt. Son imagination fertile lui jouerait-elle des tours ? La névrose que représente cette maison nimbée de surnaturel persiste en elle comme une menace incohérente et terrifiante. Elle s’entête à s’exercer comme l’irruption sournoise de l’irrationnel dans la grisaille du quotidien. Visiblement mal à l’aise, Sylvia ne sait subitement plus que faire, afin de conjurer cette obsession. Elle sent à ses côtés une présence d'outre-tombe tapie dans l'ombre. Elle a vivement détourné son regard de cette photographie au teint cadavérique, de cette caricature humaine de l’ancien maître des lieux, qu’elle rend manifestement responsable de cette situation.

         
        La pièce est encore remplie d’objets aussi mystérieux que poussiéreux et la plupart du mobilier est recouvert d’un drap blanc. Cette atmosphère fantomatique où semble régner une ambiance hostile ne fait que renforcer cet effet de terreur superstitieuse. Ne va-t-elle pas s’imaginer à présent que, les nuits d’orage, cette fantastique demeure doit irradier de mille lueurs suspectes sous les éclairs ! Des ingrédients qui contribuent à accentuer encore et encore ce stress insupportable qui s’est emparé de sa personne depuis qu'elle est entrée. Prise dans l’univers restreint de cette étrange bâtisse, ce sentiment d’oppression ne fait que s’amplifier.

         
        Mais le temps presse. Elle se doit de satisfaire son client. Elle réalise brusquement que son imagination est en train de la plonger dans un cauchemar intolérable ! Cette anxiété qui la torture n’est de toute évidence qu’anodine, totalement dénuée de sens. Elle a tout à coup conscience qu’elle alimente inutilement et déraisonnablement son imaginaire. Cette impression de retrouver son âme d’enfant et de faire resurgir quelques fantasmes enfouis au plus profond de son subconscient lui fait même hausser les épaules. Qu’aurait-elle à redouter de ces vieilles pierres à l’esthétique repoussante, mis à part le fait d’en faire échouer la vente ? Exerceraient-elles sur sa personne un effet subjectif ? Et puis … Elle n’est pas craintive de nature. Et tout le monde sait que les fantômes, ça n’existe pas ! … Alors .. Que diable ! Bien que le mot soit mal choisi … Il lui faut se reprendre ! Il y a des choses qu’il faut accepter sans se poser de questions. Elle se doit d’exorciser ses peurs et ses phobies afin de commencer son inspection sans plus tarder et s'assurer que tout est en ordre. Elle n’a pas le choix. La bâtisse ne compte pas moins d’une quarantaine de pièces qui s’étendent sur trois niveaux.

         
        Elle a ravalé nerveusement sa salive à plusieurs reprises, avant de se risquer à poser le pied sur la première marche du grand escalier en spirale qui mène aux étages. Les boiseries anciennes craquent bruyamment sous ses pas hésitants, ce qui contribue à accentuer encore cette atmosphère de cauchemar. Elle a recommencé à frissonner, sentant au fond d’elle-même sourdre de nouveau une folle angoisse. Sur le qui-vive, la voilà qui se prend tout à coup à décortiquer le moindre bruit suspect.

         
        Elle vient d’emprunter le grand couloir tortueux, sombre et sinueux du premier étage, avec l’étrange sensation qu’il ne la mènera nulle part. Le parquet qui grince sous ses pas renforce encore ce sentiment d’insécurité. Mais elle a  tressailli ! Retenant son souffle, elle a tendu l’oreille … Oui, elle en est pratiquement certaine … Un bruit émane du rez-de-chaussée ! … Ses pulsations se sont subitement accélérées … C’est une porte qui vient de s’ouvrir dans le grand salon qu’elle a traversé quelques minutes auparavant. C’est à présent parfaitement audible, et même de plus en plus accentué … Quelqu’un est en train de gravir l’escalier et elle perçoit un bruit métallique, ressemblant singulièrement à un cliquetis de chaînes ! Plus de doute … Elle a cette fois la sensation d’être la victime choisie, attirée vers le lieu où le monstre l’attend, comme l’araignée guettant la mouche …

         
        Sans même réfléchir, elle s'est jetée sur la  porte de la première chambre qu’elle referme précipitamment derrière elle. Après un coup d’œil circonspect, elle s’est tapie derrière l’armoire qui meuble les lieux. C’est un sentiment de panique qui est cette fois en train de la submerger. Elle en retient même sa respiration. On se déplace dans le couloir … Le pas qui résonne comme une menace latente à la manière d'un écho maléfique durant une poignée de secondes, s’atténue toutefois peu à peu, semblant se perdre dans le néant.

         
        Avec mille précautions, elle se prépare à quitter la pièce. La main sur le bec-de-cane, elle prête l’oreille avant d’entrebâiller la porte pour risquer un œil dans le couloir. Le passage est désert. C’est sur la pointe des pieds qu’elle s’empresse de rebrousser chemin et descend précipitamment les marches du grand escalier. Elle a rejoint le grand salon sans même s’être retournée et s’est déjà pressée vers la sortie, lorsqu’à l’instant où elle passe une nouvelle fois devant le portrait de Cornelius dont le visage aux traits ahurissants et à l’aspect diabolique paraît la défier de son regard de braise, celui-ci chute lourdement sur le sol.

         
        Une main sur la poitrine, elle s’est retournée, guettant le démon qui habite sans nul doute ces lieux ensorcelés et qui doit s’être lancé à sa poursuite … Il ne va plus tarder à se manifester et elle s’est mise à trembler de tous ses membres. Mais seul un silence sépulcral et inquiétant répond à son tourment. La caricature de l’étrange bonhomme qui gît à ses pieds semble rire de son désarroi et c’est un coup de talon rageur qui vient de mettre un terme à cette horrible défiance.

         
        La gorge nouée par l’angoisse, elle reprend peu à peu confiance et réalise bientôt la stupidité de son geste d’humeur. Mais son cœur a cette fois fait un bond dans sa poitrine et une lueur d’effroi s’est allumée dans ses prunelles, tandis que les traits de son visage reflètent l’épouvante … Elle sent un souffle chaud et haletant sur sa nuque et des mains froides et visqueuses se sont posées sur ses épaules …

        
        - Sylvia ! Hé Sylvia ! Ce n’est pas le moment de piquer un roupillon !           

        
        Penché sur elle et la secouant énergiquement, c’est le visage amusé de son amie et collègue de bureau Laëtitia, qu’elle distingue en entrouvrant timidement une paupière.

        
        Affalée sur son bureau, Sylvia met quelques secondes avant de reprendre totalement contact avec la réalité …

        
        - Me suis assoupie… lâche-t-elle du bout des lèvres, les yeux hagards et l’air penaud, tout en étouffant un bâillement et en se redressant sur un coude, le cerveau encore embrumé.

        
        - Je vois ça… constate Laëtitia avec un sourire pincé… C’est vrai que cette semaine a été des plus éprouvantes et …

        
        Mais elle a aussitôt interrompu sa remarque, le timbre d’appel du téléphone venant de résonner.

        
        Après s'être saisie du combiné, elle échange quelques paroles avec la personne se trouvant à l’autre bout du fil avant de se tourner vers sa collègue, tout en replaçant l'appareil sur son support.

        
        - Tu vas pouvoir te dégourdir les jambes !… lui lance-t-elle avec un gloussement amusé… C’était le patron. Tu ne devineras jamais !

        
        - Deviner quoi ? Je t’en prie. Suis pas trop dans mon assiette aujourd’hui.

        
        - Tu te souviens … Cette vieille bicoque ? Le manoir de Cornelius ? Hé bien … T’as plus une seconde à perdre. Le patron désire que tu fonces là-bas voir si tout est en ordre. Un client souhaite la visiter demain dans la matinée.

 !!!

2 septembre 2011

Le Parapluie

 

Le  Parapluie 

 

Stephan LEWIS

 

pr93116         
         

Printemps 1968 … mardi

        
        Joseph Winter, jeune étudiant britannique en archéologie âgé de 24 ans, décide ce jour de profiter de cette belle fin d'après-midi afin de réviser ses cours dans les jardins de Buckingham, à Londres.

        
        Notre futur archéologue, assis sur un banc, est penché sur ses notes, lorsqu'une toute jeune fille vient s'asseoir à ses côtés.
 
         La conversation se noue aussitôt autour de quelques sujets futiles.

        
        Au terme d'une petite heure, la jeune fille invite son interlocuteur à une petite fête donnée dans l'appartement de famille en l'honneur de son anniversaire, le jeudi à venir. Puis, elle l'abandonne à ses notes.

        
        Au jour et à l'heure dite et en dépit d'une pluie battante rendant les rues quasi désertes, le jeune Winter, muni d'un parapluie à manche de nacre gravé de ses initiales, se rend à l'adresse indiquée chez la jeune personne en question. Elle l'attend en compagnie d'une vingtaine d'autres invités au troisième étage de l'immeuble.

        
        La soirée se déroule au sein d'une douce atmosphère, agrémentée par une musique d'ambiance propice à la détente et à l'amusement. Winter noue à présent une longue conversation avec la jeune fille qui dit s'appeler Laëtitia Renault. Cette dernière lui présente un jeune ecclésiastique de ses amis passionné d'archéologie.

        
        Vers 22 heures, le jeune Anglais salue ses hôtes après avoir remercié la jeune fille, se promettant mutuellement de se revoir.

        
        Winter est à présent dans la rue, ressassant avec plaisir les quelques heures passées en compagnie de sa nouvelle amie, lorsqu'il ressent tout à coup le désir de fumer. Notre jeune étudiant bourre soigneusement son brûle-gueule, l'esprit ailleurs, certainement vaquant là où il était quelques minutes auparavant, lorsqu'il s'aperçoit avoir oublié son parapluie dans l'appartement. Plus satisfait que contrarié à l'idée de revoir celle à laquelle s'accrochent  à présent ses pensées, il fait aussitôt demi-tour pour emprunter une nouvelle fois l'escalier et sonne à la porte d'entrée …

        
        Curieusement, aucun écho de la petite fête ne lui parvient, et personne n'ouvre la porte malgré son insistance, alors qu'il ne s'est écoulé que quelques minutes depuis son départ.
        

         C'est le concierge qui, alerté par son acharnement, met fin à son obstination.
        

        - Laëtitia Renault ! Connais pas ! Voilà plus de vingt ans que cet appartement est inoccupé… lui confie ce dernier en se grattant machinalement le cuir chevelu.

        
        A présent, plus Winter tente de s'expliquer, plus l'affaire devient confuse.  Elle se termine même au poste de police du quartier en présence d'un certain Olways, propriétaire de l'appartement en question.  Le récit du jeune Winter pris pour un cambrioleur étonne tout le monde… En effet, l'appartement avait bien été occupé par Laëtitia Renault et sa famille, mais il s'avère que cette jeune personne était décédée depuis une vingtaine d'années.

        
        Suite à l'acharnement du jeune homme, on se décide finalement à ouvrir les portes de l'appartement … Il est alors plus de minuit…
       

         Surprise … !
       

         Plus aucune trace du mobilier entrevu quelques heures auparavant par Winter. Le parquet est couvert de poussière et les lieux semblent abandonnés depuis des siècles. A son grand étonnement, l'étudiant remarque une photographie demeurée sur  un cache-radiateur … Il y reconnaît aussitôt le jeune ecclésiastique avec lequel il avait pris tant de plaisir à discuter lors de cette soirée peu ordinaire.

        
        Le propriétaire a remarqué son air interloqué.
       

        - Cet homme …. Cet abbé !… murmure Winter… Nous avons discuté toute la soirée !
        

        - Cela m'étonnerait beaucoup que vous ayez parlé avec lui ce soir… sourit Olways… Il s'agit de mon grand oncle mort en Afrique où il était missionnaire.
       

        - C'est impossible… balbutie Winter… Il y a à peine 3 heures, nous étions là, près de la cheminée à discuter !
  
        Comme pour asseoir sa conviction, il s'est approché du tablier de marbre de la vieille cheminée ... Son regard s'est posé sur le porte-parapluies à l'intérieur duquel, couvert de poussière, se trouve un parapluie dont la crosse nacrée est gravée de deux initiales : J.W.

2 septembre 2011

Le Téléphone

Le Téléphone
Le Téléphone                                                                                   
- Stephan LEWIS -
     
 
       Catherine et Julie, deux amies âgées de 14 ans, ont obtenu la permission parentale de partager la soirée et la nuit de vendredi à samedi.
      
       La première a donc invité la seconde, fière de lui faire découvrir son univers. La maison est très spacieuse. Elles ont passé la fin de la journée au sous-sol où se trouve la salle de jeux.
      
       Vers 20h30, les parents de Catherine, conviés à une soirée, ont fait leurs recommandations aux jeunes filles, afin que tout se déroule sans incident durant leur courte absence. Il a été convenu qu’elles regarderaient le film comique joué à la télévision avant de se mettre au lit.
     
        22 h 40 …
 
        - Il est déjà l’heure d’aller se coucher … soupire Catherine, négligemment allongée sur le canapé, se lissant ses longs cheveux blonds d’une main distraite.
       
        - Tu as sommeil ?… s’enquiert Julie, installée confortablement au creux d’un fauteuil et manifestement peu encline à se mettre au lit.
        
        - Non pas trop. Et toi ?         
       
        - Moi non plus. 
       
        - J’ai une idée… se réjouit déjà Catherine, l’air amusé, en éteignant le récepteur… Si on faisait une farce à quelqu’un avec le téléphone ?… suggère-t-elle à brûle-pourpoint, le visage éclairé d'un sourire espiègle.    
       
        - Une farce ?… s’étonne Julie, en affichant une mimique de surprise.
       
        - Oui, une blague quoi. Je me suis déjà prêtée à ce petit jeu. Tu verras, c’est marrant. Tu appelles une personne au hasard et tu lui poses une question débile. Elle ne tarde pas à se mettre en colère. Et hop, tu lui raccroches au nez !
       
        - Super ! Allez on le fait… s’enthousiasme déjà Julie en étouffant un bâillement, mais apparemment emballée par l’idée saugrenue de son amie. 
      
        C’est donc sans attendre, que Catherine s’est emparée d’un combiné, sur le clavier duquel elle s’est mise à pianoter fortuitement un numéro.
      
        Une voix d’homme, à l’intonation peu amène, ne tarde pas à se manifester à l’autre bout du fil.
      
        - Allô ! Qui est à l’appareil ?… se presse-t-il de demander.
      
        - Bonsoir monsieur. C’est pour une enquête… feint Catherine, tandis que son amie se retient de pouffer de rire.
       
        - Une enquête !… s’étonne l’autre… Et à cette heure ?  C’est une plaisanterie !… suspecte-t-il encore.
       
        - Non, non monsieur. On voulait simplement savoir … si votre grand-mère faisait du vélo ?… raille-t-elle effrontément en éclatant d’un rire moqueur, avant de replacer précipitamment le combiné sur son support, écourtant prématurément ce bref babillage.
     
        Subitement sujettes à un fou rire incontrôlable, les deux adolescentes mettent plusieurs minutes à récupérer, avant de pouvoir échanger leurs impressions sur la farce qui vient d’être jouée et qu’elles savourent sans aucune retenue.
     
        - C’est curieux… glousse Catherine, la remarque involontairement entrecoupée de rires spasmodiques et étouffés … mais il me semble connaître la voix de ce type !… confie-t-elle, perplexe.
      
        - Ce serait vraiment une coïncidence, étant donné que tu as composé un numéro au hasard… s’étonne Julie, les yeux larmoyants, maîtrisant avec peine cette hilarité communicative.
      
        La sonnerie du téléphone qui a retenti, a mis un terme à cette jubilation exubérante, qui s’est éteinte dans une sorte de hoquet
      
        - Tu .. tu crois que c’est « lui » qui rappelle ?… appréhende subitement Julie, dont la liesse d’un instant a fait place à l’inquiétude.
      
        - On répond ?… hésite Catherine, prise du même doute.
     
        - C’est peut-être quelqu’un d’autre…  escompte Julie, sans grande conviction.
      
        - A cette heure !… souligne Catherine, la moue dubitative.
     
        Plongées dans la même incertitude angoissante, les deux adolescentes subissent à présent les assauts incessants du timbre téléphonique, qui leur vrille les tympans avec acharnement.
    
        - Et si c’étaient tes parents désireux de s’assurer que tout va bien !… rappelle Julie.
    
        - Tu as raison. Et de toute manière, si c’est ce type, on s’excusera. C’était pas bien méchant après tout… minimise Catherine, banalisant la plaisanterie d’un geste d’indifférence.
    
        Ce disant, elle se décide à décrocher ...
     
        Mais à l’autre bout du fil, c’est un silence de mort tendu et inquiétant qui répond à leur attente …Plusieurs secondes s’écoulent, sans que leur mystérieux correspondant daigne se manifester. 
     
        Les deux intéressées ont échangé des regards étonnés. Et c’est avec un haussement d’épaules, que Catherine a replacé l’appareil sur son support.
    
        - Certainement une erreur de numéro… soupire-t-elle.
    
        Mais elles ont aussitôt sursauté, la sonnerie du téléphone retentissant de nouveau.
    
        D’un geste hésitant, Catherine a libéré le combiné de son support.
    
        - Allô !… J'écoute !…risque-t-elle timidement, avec un tremblement d’inquiétude dans la voix.
     
        - On ne se moque pas impunément du monde comme vous le faites mesdemoiselles… lui rétorque la voix déjà entendue ultérieurement.
    
        - C’est lui !… chuchote Catherine, subitement mal à l’aise.
    
        - Votre raillerie ne m’a pas amusé… poursuit l’autre d’une voix sèche reflétant son mécontentement d’avoir été la victime de ce quolibet à pareille heure.
     
        - Je m’excuse de vous avoir importuné monsieur. J’espère que vous n’êtes pas fâché ?… se confond Catherine d’une voix déconfite et modulée, adoptant un ton volontairement innocent, voire contrit.
     
        - Vous allez pouvoir le constater par vous-mêmes. Car vous êtes deux, si je ne me trompe ?
     
        Les intéressées ont échangé des regards déroutés.
     
        -  Comment ça le … constater… a pâli Catherine en déglutissant nerveusement à plusieurs reprises, au risque de s’étrangler..
     
        - J’ai votre numéro. Je peux savoir où vous êtes. Je vais me rendre à votre domicile. J’ai une sainte horreur des farces imbéciles. Je vais vous découper en petits morceaux. .. menace-t-il avec une ironie glacée dans le son de sa voix. 
     
        Et l’inquiétant personnage a aussitôt raccroché, laissant les deux adolescentes dans l’expectative.
    
        - Tu crois qu’il était sérieux… frissonne Julie, perplexe.
    
        - Il a certainement voulu nous faire peur pour nous punir de l’avoir éconduit de la sorte… tente de dédramatiser son amie, le visage blême, désireuse de s’en persuader elle-même. 
    
        Mais elles ont de nouveau tressailli, le timbre du téléphone résonnant une nouvelle fois.
     
        La main tremblante, Catherine a hésité durant une poignée de secondes avant de se décider à se saisir du combiné et a conjointement connecté le haut parleur.
    
        - C’est encore ce cinglé … pressent Julie d’une voix angoissée …
    
        Catherine n’a pas eu le temps d’apporter de réponse, qu’une voix se manifeste à l’autre bout du fil …
    
        - Encore envie de fanfaronner, jeunes filles ?… ricane-t-elle.
    
        - C’est lui !… a frémi Catherine, croisant le regard désemparé de son amie, dont la blancheur du visage s’est intensifiée.
     
        D’un geste à la fois nerveux et paniqué, elle s’est pressée de raccrocher à son tour. 
     
        Sans échanger le moindre mot, les deux adolescentes, déconcertées et éperdues, gardent le regard rivé sur le téléphone. Immobiles et semblables à des statues de marbre, plongées dans une hypnose démentielle, elles ont tressauté à sa sonnerie intempestive qui troue à nouveau le silence. Elle résonne sans répit encore et encore dans leur corps, dans leur tête, telle une menace grandissante à travers la nuit. Les nerfs à vif, manifestement résignées à subir l’impensable, elles se sentent, l’une comme l’autre, incapables de continuer à faire face à cette situation devenue insupportable et qui menace de leur faire perdre la raison.
     
        Et c’est bientôt le répondeur qui assure la relève. 
     
        - Je suis devant votre porte. Je vais entrer régler mes comptes … menace cette fois la même voix, les ramenant à la réalité.
     
        Un cri d’effroi s’est échappé des lèvres des deux amies en plein désarroi, qui ont échangé des regards affolés.
    
        - La lumière !… Eteins la lumière !… s’est écriée Julie d’une voix blanche, complètement paniquée.
    
        La pièce est rapidement plongée dans le noir et les verrous tirés précipitamment ; tandis que des coups secs et violents sont à présent assénés contre la porte d’entrée.
    
        Au bord des larmes et le cœur battant à un rythme endiablé, les deux infortunées, les traits crispés, s’imaginent leur dernière heure arrivée.
    
        Puis, subitement, plus rien … silence total …leur calvaire semble avoir pris fin. Seul, un chien hurle dans la pénombre de la rue déserte.
    
        - Que fait-on ? Il va revenir !… balbutie Julie, le visage blême, agité d’un tremblement nerveux.
    
        - Je ne sais pas. J’ai peur… sanglote Catherine.
    
        Plusieurs minutes se sont à présent écoulées, sans que la menace ne se soit de nouveau manifestée.
    
        - Son numéro est encore sur l’écran du téléphone… mentionne Catherine avec des fragments de sanglots dans la voix... Je vais le rappeler pour le prier de cesser ses absurdités. Faute de quoi je l’avertis que je préviens la gendarmerie.
     
        - Espérons que ce cinglé nous laissera tranquilles… hoquette Julie, en essuyant une larme d’un revers de main, tandis que son visage tendre et juvénile aux taches de rousseur, continue de refléter la plus extrême frayeur.
     
        D’une main tremblante, Catherine s’affaire aussitôt à rappeler l’inconnu, d’après ses coordonnées demeurées en mémoire.
     
        - « Le numéro que vous avez composé n’est pas attribué ou n’est plus en service. Nous regrettons de ne pouvoir donner suite à votre appel » indique une bande passante.
    
        Les deux jeunes filles ont échangé des regards interdits.
    
        - Tu t’es trompée … présume  tout naturellement Julie.
    
        - J’ai utilisé la touche « bis » !… se justifie Catherine en faisant une nouvelle tentative.
    
        Mais c’est le même message d’erreur qui se fait de nouveau entendre.
     
        - J’y pense… se ravise Julie, la mine réfléchie… Sur ton ordinateur, tu peux chercher le nom de cette personne à l’aide du numéro inversé. Nous saurons immédiatement où elle habite !  
    
        -  Bonne idée… acquiesce Catherine en s’exécutant promptement.
       
        ………. Surprise … ! ! ! !
    
        - C’est … c’est le numéro de … de mon voisin d’à côté … murmure cette dernière du bout des lèvres.
    
        -  Cela explique tout ! Tu vois bien que c’était une plaisanterie… anticipe Julie…Il a reconnu ton numéro et a voulu te faire une farce à son tour. Ce qui est tout de même étrange, c’est la teneur de ce message indiquant que son numéro ne soit plus attribué. 
    
        - Non. C’est impossible… hoquette Catherine, la lèvre inférieure légèrement tremblante, tandis que ses traits reflètent la plus vive terreur.
    
        - Comment ça impossible ?… s’étonne Julie. 
    
        - Parce que la maison est vide. Cet homme qui vivait seul est décédé la semaine dernière ...
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2 septembre 2011

Le Cimetière

Le Cimetière

                                Le Cimetière 

                                                             - Stephan LEWIS -

         Il y a des cimetières, dont l’atmosphère étrange et inquiétante inspire les plus terrifiantes légendes. C’est le lieu privilégié des goules, des fantômes et des vampires.

         1er novembre 2010 … 5 h 05 du matin …

        A l’aube naissante de la Toussaint, dans une petite agglomération du nord de la France, deux adolescentes, pressées de rentrer chez elles, empruntent un raccourci passant par le vieux cimetière.

        Alice et Béatrice, deux sœurs âgées respectivement de 15 et 16 ans, reviennent d’une mémorable soirée Halloween, fêtée en compagnie de plusieurs amis. L’ambiance était chaude et la veillée s’est agréablement déroulée. C’est donc avec regret qu’elles regagnent leurs pénates.

        La nappe de brouillard qui s’étend progressivement, tel un voile impénétrable, réduit la visibilité des lieux à peine sortis des ténèbres de la nuit, les rendant plus sinistres encore. Les branches dansent comme des serpents charmés par la musique du vent. Emmitouflées dans leurs parkas, capuches rabattues et malgré l’ambiance lugubre qui s’est installée, les deux adolescentes plaisantent avec insouciance, cherchant leur chemin dans l’obscurité. Elles se remémorent ces instants merveilleux passés précédemment avec leurs amis. Elles sont alors loin d’imaginer qu’elles n’oublieront jamais cette froide nuit d’automne.

        Elles viennent de froncer les sourcils et ont interrompu leur discussion pour prêter l’oreille … Il leur a semblé percevoir un bruit étrange. Quelque chose comme une plainte, une sorte de gémissement. L’incident n’a troublé la tranquillité des lieux que l’espace d’un instant. Puis, plus rien … Le silence s’est aussitôt rétabli.

        Les deux sœurs ont échangé des regards étonnés.

        - Tu as entendu ?… souffle Alice.

        - Qu’est-ce que ça pouvait être ?… murmure Béatrice, en embrassant les alentours d’un œil inquiet et méfiant.

        - Certainement des corbeaux… imagine Alice, comme pour chercher réponse à une anxiété naissante.

         - Ou des revenants. Les fantômes se manifestent plutôt par des bruits de chaînes… plaisante Béatrice, la boutade assortie d’un frisson.

         - Ce ne sont que des croyances ridicules qui ont toujours couru les nuits d’Halloween… banalise Alice, en haussant les épaules.

         - Oui, mais … sait-on jamais… persiste Béatrice d’un ton railleur, l’œil goguenard. N’oublie pas que cette nuit est celle des superstitions. Tous les esprits surnaturels sortent de leurs repaires pour flâner dans la nuit. Démons, fantômes, revenants, sorcières, ogres, vampires, morts-vivants, momies tueuses et j’en passe, sortent de l'ombre pour chercher leurs proies ...

         - Arrête, tu me fais flipper !.. rétorque nerveusement sa sœur, manifestement peu encline à supporter les niaiseries de son aînée.

         L’oreille aux aguets et les sens à fleur de peau, les voici tout à coup attentives au moindre bruissement, scrutant longuement les ténèbres, tentant de saisir à nouveau cet étrange geignement. Mais seul le silence répond une nouvelle fois à leur attente. Tout est noir autour d’elles … Aucun bruit … Rien … Rien que ce grand silence sépulcral, faisant maintenant plus de bruit dans leurs têtes que n’importe quoi. Elles sont néanmoins certaines d’avoir entendu quelque chose. On ne saurait s’y tromper. Cet endroit paisible, qui inspire le repos et le respect, leur semble tout à coup hostile, comme animé d’une vie interne. Et elles prennent peur.

         N’étant pas spécialement amatrices de frissons, et la gorge nouée par une angoisse naissante, elles ont pressé le pas, impatientes de quitter rapidement les lieux. Etant donnée l’ambiance pour le moins angoissante, voire troublante, qui s’est installée, un simple coup de vent pourrait faire croire à une multitude de choses terrifiantes. Afin de se redonner un peu d’assurance, elles ont repris un semblant de conversation, tentant de penser à autre chose en évitant de nourrir leur imagination de sordides superstitions.

        - Ecoute !… tressaille de nouveau Alice, en agrippant le bras de sa sœur dans un mouvement trahissant son désarroi.

        - Voilà que ça recommence !… s’angoisse à son tour Béatrice, une flamme d'inquiétude dans le regard.

        Cette fois, le même bruit suspect s’est fait entendre à trois reprises, de plus en plus rapproché, comme une présence invisible, mais bien réelle … Elles redoutent brusquement que quelque chose se tienne tapie, là, quelque part, dans le royaume des ombres. La tension est montée d’un cran, se faisant plus intense. Les tombes qui les entourent semblent avoir pris un aspect sinistre, leur donnant la chair de poule. Le seuil de nervosité a été franchi. Les deux jeunes filles sont à présent sujettes à une étrange sensation, comme si tout, dans ce cimetière, les surveillait subitement. L’appréhension d'une mystérieuse présence se fait de plus en plus sentir. Et c’est un sentiment d’insécurité qui les envahit progressivement.

        - Nous ne sommes pas seules… glisse Béatrice au creux de l’oreille de sa sœur, en posant une main tremblante sur son épaule.

        - Qu’allons-nous faire !… panique déjà Alice, d’une voix crispée.

        - On bifurque sur la gauche en vitesse… lui rétorque Béatrice, en s’exécutant précipitamment.

        Affolées, jetant des regards déroutés aux alentours, elles se sont mises à courir, avec la désagréable impression de se sentir dans la peau d’un animal traqué … Lorsque soudain … des crissements sur le gravier leur ont fait dresser le poil … Le front couvert d'une sueur froide, elles ont stoppé leur course folle. L’une comme l’autre semblent terrifiées. Elles ont acquis la certitude que quelqu’un les suit … La peur au ventre, elles épient le voisinage, s’efforçant de se rassurer mutuellement …

        Il se passe sans aucun doute quelque chose d'extrêmement sinistre et menaçant dans le cimetière.

        - Là ! … s’est écriée Alice d’une voix blanche, en tendant le bras.

        La lumière blafarde diffusée succinctement par l’un des rares réverbères, leur dévoile furtivement une ombre fugitive qui a semblé se glisser entre les tombes.

        - Par ici ! … a lancé Béatrice, en saisissant sa sœur par la manche pour l’entraîner à sa suite.

        Et c’est sans demander leur reste, qu’elles ont repris leur débandade, cherchant à travers l’obscurité le chemin menant vers la sortie.

       Les poumons en feu, vacillant entre les sépultures fleuries de chrysanthèmes, elles ont à présent perdu leurs repères, ne sachant plus où elles sont, telles des aveugles perdues au milieu des tombes.

        Mais elles ont de nouveau marqué un temps d’arrêt, subitement figées dans une immobilité de statue. Quelque chose d’insolite vient de capter leurs regards. Elles fixent, avec effroi, la forme fluidique semblable à une image spectrale qui se profile dans le brouillard, à moins d’une dizaine de mètres devant elles… Elle est encore floue, mais se dirige sans bruit dans leur direction. Et le silence, qui a repris possession des lieux, leur paraît soudain plus lourd, plus oppressant, enfantant un suspense insoutenable.

        Béatrice a senti son estomac se contracter ; tandis que Alice, le visage décoloré marqué par une expression d’effroi, a laissé fuser un cri de stupeur d’entre ses lèvres. Elle a empoigné le bras de sa sœur pour le serrer convulsivement, comme pour se chercher une protection … L’une, comme l’autre, ont soudainement pris conscience que cette hantise qui les tenaillait depuis quelques minutes allait, sans plus tarder, se concrétiser en une réalité assurément insoutenable. Elles appréhendent et anticipent cette fatale rencontre avec son cortège de cauchemars terrifiants. Paralysées par la frayeur, une boule d’angoisse les empêche de déglutir et plus aucun son ne parvient à sortir de leur bouche. Et c’est avec une lueur d’effroi dans les prunelles, qu’elles observent cette singulière vision à la démarche traînante, qui s’avance et se précise, prenant corps peu à peu. Elle se révèle aussitôt être une jeune femme de taille moyenne, drapée dans un long manteau démodé à col de fourrure aux tons bleutés si intenses, qu’ils pourraient rivaliser avec ceux d’une nuit sans lune.

         - Que faites-vous ici à pareille heure ?… a lancé une voix anonyme, les faisant sursauter et émanant de cette forme ahurissante.

        Eberluées, les deux jeunes filles, dont les visages reflètent la plus extrême frayeur, ne semblent pas avoir correctement interprété le sens des paroles prononcées.

        - Je vous ai fait peur ?… s’assure aussitôt l’étrange silhouette.

        - Qui … qui êtes-vous ?… risque timidement Béatrice, les traits crispés et d’une voix étranglée.

        - Je suis celle qui règne sur ces lieux abritant les créatures de l’oubli, en quête de visiteurs nocturnes… rétorque l’insolite présence à l’intonation lugubre.

       Les deux sœurs, prises d’un tremblement incontrôlable et dont les cheveux se sont littéralement dressés sur la tête, ont pressenti leur dernière heure arrivée. Au bord des larmes et le cœur battant à un rythme endiablé, elles se sont serrées l’une contre l’autre en échangeant des regards effarés.

        L’inconnue n’a pas tardé à les rejoindre. Elle est à présent à leur côté et dégage une forte odeur corporelle écœurante. Une longue chevelure couleur de lin lui tombe jusqu'aux épaules. Elle doit friser la quarantaine. Son visage aux pommettes saillantes, fin et aussi pâle qu’un mannequin de cire, semble curieusement fait d’une porcelaine adaptée à l’obscurité.

        - Je plaisante… se presse-t-elle d’ajouter d’une voix monocorde… En fait je regagne mon domicile et je suis en retard. Mais vous ne devriez pas traîner par ici à une heure aussi tardive ! …

       - C’est que … nous revenons d’une soirée Halloween et nous rentrons à la maison. Mais nous nous sommes égarées dans le cimetière… lâche mécaniquement Béatrice du bout des lèvres, la bouche tremblante, dominant péniblement sa panique, impressionnée par cette étrange rencontre qu’elle détaille d’un regard dérouté avec une certaine appréhension.

        - Vous vous êtes donc perdues dans le brouillard… poursuit la femme au grand manteau, en les enveloppant de ses yeux noirs au regard froid.

        Durant ce bref examen silencieux, un sentiment d’insécurité s’est emparé des deux sœurs, visiblement mal à l’aise. Le regard intense que cette inconnue a posé sur elles, a quelque chose d'inhabituel, de stressant. Elles ont senti que ses yeux d’ébène les scrutaient au plus profond d'elles-mêmes.

        - La sortie n’est pas bien loin. Je vais vous guider. Je connais parfaitement les lieux… déclare-t-elle sur un ton aux inflexions des moins engageantes.

        Puis, sans rien ajouter et d’un geste approprié, l’étrange inconnue les a enjointes à la suivre …

       Et c’est submergées par une vague d’inquiétude, que les deux adolescentes, au bord des larmes, se sont senties dans l’obligation d’obtempérer.

        Le brouillard s’est encore épaissi, pour se transformer en un coton opaque. Déambulant de tombes en tombes, sans avoir échangé la moindre parole avec leur énigmatique guide, elles ont parcouru une cinquantaine de mètres. Des sépultures anciennes, à moitié écroulées, mangées par le lierre ou couvertes d'une végétation extravagante, voisinent avec des chapelles et des caveaux, inspirés des architectures les plus farfelues. Mais voici que l’inconnue au grand manteau vient de quitter l’allée qu’elles avaient empruntée, engageant les jeunes filles à la suivre. Elle s’est dirigée vers un mausolée en granit noir ornée de mosaïques. Trois anges déchus en pierre de taille, paraissant se livrer à des occupations étranges et inquiétantes, semblent en interdire l’accès. Ils incarnent visiblement le mal absolu, comme autant de divinités déchues appartenant à l’aspect obscur de la création. Elle leur a désigné l’entrée du tombeau, dont la porte en fer s’est ouverte à leur approche dans un grincement des plus sinistres.

        - C’est ici qu’est ma demeure… déclare-t-elle le plus naturellement du monde d’une voix désincarnée, à la stupéfaction des deux adolescentes, brutalement précipitées dans un océan de stupeur paralysante.

        Béatrice, l’œil dilaté par une terreur sans bornes, a senti les doigts de sa sœur se crisper sur son bras en un mouvement de terreur ; tandis qu'une onde glacée a couru le long de son échine.

        - Il est extrêmement rare de recevoir des visiteurs en ces lieux à la naissance du crépuscule, et il est temps, à présent, d’entrer rejoindre les autres… ricane l’énigmatique créature féminine avec une ironie glacée dans le son de sa voix, en rejetant sa chevelure en arrière d’un brusque coup de tête. Puis, se saisissant des deux sœurs à l’aide de ses mains blanches aux ongles démesurés, comme s’ils n'avaient pas été entretenus depuis des lustres, elles les a entraînées à sa suite dans le tombeau qui s’est refermé derrière elles.

        Les hurlements de terreur des deux jeunes sœurs, étouffés et à peine audibles, se sont vite perdus dans les méandres de la crypte de la femme au long manteau.

        - Voici la triste histoire de deux jeunes adolescentes qui vous ressemblent et qui ont fait fi des conseils de leurs parents en sortant les nuits d’Halloween … sourit la maman des deux jeunes sœurs en refermant le livre du " Cimetière – de Stephan LEWIS ", avant de le déposer sur le rayonnage de la bibliothèque.

2 septembre 2011

Le Manuscrit des Ombres

Le Manuscrit des Ombres - de Stephan LEWIS

                                                                      Stephan LEWIS

 

          Nous aimons tous les histoires qui font peur ... les momies qui hurlent, les fantômes ricanants, les vampires blêmes, les squelettes qui parlent, les loups-garous, les revenants et peut-être d’autres créatures. Nous aimons aussi les châteaux hantés, les portes qui s’ouvrent en grinçant sur des mondes inconnus et les falaises battues par les vents ! Alors, je vous en livre ici quelques-unes que j'ai écrites pour vous et qui vous feront grincer des dents ou dresser les cheveux sur la tête. ( C'est pour rire ... quoi que ...!!! ) -

                                            S. Lewis

 

 Le Manuscrit des Ombres
    
Stephan LEWIS

Le Manuscrit des Ombres - de Stephan LEWIS
 

 

CHAPITRE I

 

       

        Sylvia Troletti est dans l'avion qui l'emmène vers Carcassonne. Elle vient de relire pour la énième fois le petit bout de papier qui traîne au fond de sa poche et l'appréhension continue de se lire sur son beau visage. Mais les hôtesses ont prié les passagers de se sangler sur leurs sièges, le Boeing 747 amorçant sa procédure d'atterrissage.
       

       Cette jeune Française de vingt sept ans aux yeux pervenche, blonde comme les blés, dont les formes parfaites et harmonieuses sont étroitement moulées par une tunique blanche serrée à  la taille, contient de moins en moins bien l'impatience qui s'est emparée de sa personne. Qui a bien pu lui envoyer ce curieux message ? En premier lieu, elle n'y avait guère prêté attention. Il s'agissait de toute evidence d'un canular, d'une mauvaise farce glissée dans sa  boîte aux lettres sous enveloppe insuffisamment affranchie d'ailleurs, le facteur lui ayant réclamé la taxe correspondante. Puis, la curiosité aidant, résolue à  en avoir le coeur net, elle avait fini par plier bagages.
       

       Un léger choc lui indique qu'ils viennent d'atterrir. Les hôtesses invitent aussitôt les passagers à quitter l'appareil et ces derniers se dirigent vers la sortie sans précipitation, en file bien ordonnée. Il ne reste plus à Sylvia qu'à  trouver un moyen de locomotion pour se rendre dans la localité indiquée dans ce mystérieux message. D'après ses calculs, Montségur, le petit bourg en question, se trouve à une heure de route de Carcassonne et le parking de l'aéroport fourmille de taxis qui semblent attendre le client de pied ferme.
       

       Après avoir indiqué le nom du village au chauffeur barbu qui l'a saluée d'un doigt collé à la casquette, elle a pris place à  l'arrière du véhicule.

        Et la voici partie bon train vers sa destination.


       Sylvia est encore indécise, mais elle ne peut plus reculer. A l'évidence, elle se sentira d'autant plus tranquillisée lorsqu'elle aura vérifié les allégations du mystérieux auteur de cette non moins énigmatique missive. 

       L'esprit en ébullition, elle regarde machinalement le paysage qui défile.  

        
      Un panneau de signalisation lui indique bientôt qu'ils sont arrivés. C'est avec un léger pincement au coeur qu'elle demande au chauffeur de la déposer devant le premier hôtel.
       

       Claquement de portière et le taxi redémarre, la laissant, la mine perplexe, devant l'entrée de l'unique établissement hôtelier du petit bourg, qui ne compte guère plus d'une centaine d'âmes.
       

       Après une ultime hésitation, elle a franchi le porche en soupirant.
        

       L'homme qui trône derrière le comptoir de la réception feuillette un magazine et lui adresse un salut lapidaire en relevant nonchalamment la tête.
       

       - Bonjour ! Je désire une chambre pour la nuit... lance-t-elle en esquissant un sourire  furtif.   
       

       - Jour mab'selle ! C'est cinquante trois euros, petit déjeuner compris. Le service est à  8 heures... indique le réceptionniste d'une voix pâteuse.   
        

       - Ca me va.
        

       - Vot' clef mab'selle. Chambre 12. 
        

       - Merci ... euh ... Je voulais vous demander : Le cimetière se trouve  loin d'ici ?  
        

       - Trois ou quatre cents mètres. En sortant, prenez tout droit, puis immédiatement à  gauche.         
        

       Après avoir remercié l'hôtelier, réglé la note par anticipation et couché son nom sur le registre de l'hôtel, la jeune femme a emprunté l'escalier menant à l'étage. 
       

       D'un regard circulaire, elle a rapidement fait le tour de la chambre avant de se laisser choir mollement sur le lit pour allumer une cigarette. Durant un instant, perdue dans ses pensées, elle observe le nuage de fumée bleutée qui paraît s'enrouler en spirales vers le plafond jauni. C'est avec une moue de tergiversation qu'elle extirpe la lettre écornée du fond de sa poche, pour s'attarder une nouvelle fois sur son contenu ... 
       

       " Mademoiselle Troletti, on ne se connaît pas et mon nom est sans importance. Sachez seulement que je faisais partie des derniers membres de L'Ordre de l'Etoile d'Argent. Ne cherchez pas à comprendre pour l'instant. Quelque chose d'inconcevable vous concernant et dont vous êtes le réceptacle vient de se produire. C'est vous et vous seule qui êtes au centre de ce phénomène incompréhensible dépassant l'entendement et pourtant malheureusement bien réel. La survie du globe en est maintenant l'enjeu et l'humanité  va basculer dans un gouffre de terreur et de désolation. Le temps me manque,  mais je vous en conjure, il vous faut admettre cette surprenante verité. Il est impératif que vous vous rendiez le plus rapidement possible au cimetière de Montségur. C'est un petit bourg du sud de la France. Les Veilleurs de l'Apocalypse sont d'ores et déja après moi et les minutes me restant à  vivre sont comptées. Vous devrez chercher la troisième tombe en partant de la seconde allée. Aussi absurde que cela puisse vous paraître, c'est à l'intérieur de celle-ci que vous avez été inhumée le mois dernier. Sur votre tombeau a été tracée une étoile à cinq branches, dont le centre est traversé par un trident. A partir de l'instant où vous l'aurez trouvé, vous devrez agir avec une extrême rapidité afin d'éviter d'entrer dans la Zone des Oubliés, car Ils sont déjà là . Il est indispensable que vous ouvriez le caveau pour accéder au cercueil afin que vous puissiez récupérer la pierre de Tuaoi que vous portiez autour du cou. Ce cristal est la clé de l'Univers. Il est destiné à  ouvrir la porte interdite et invisible du Sanctuaire de la Connaissance qui relie le ciel à  la Terre. Il est le gardien de l'histoire de l'humanité et renferme le sixième livre du Pentateuque, le livre secret qui manque à  la Bible. Ne perdez pas un seul instant ... et que Dieu vous garde." 
       

       Les lèvres pincées, elle s'est gratté le menton d'un air songeur ... " C'est pas vrai, j'hallucine ! Je n'aurais jamais dû m'embarquer dans cette histoire de fou ! Ce type est malade ! Ou il s'agit d'une plaisanterie d'un goût pour le moins douteux ! " ... marmonne-t-elle dans un soupir en fourrant la lettre dans la poche de sa veste, avant d'écraser nerveusement sa cigarette dans un cendrier. 
       

       Il est un peu plus de 17 h 00 et en ce mois d'octobre 2003, la nuit ne va plus tarder à s'installer. Elle décide néanmoins de se rendre séance tenante au cimetière, la fébrilité qui s'est emparée de sa personne ne lui permettant pas de remettre ses investigations au lendemain.  
       

       Elle a ouvert sa valise pour se saisir de son petit calibre 38 Smith & Wesson qu'elle glisse dans son sac. Puis, elle quitte aussitôt la pièce d'un pas decidé.
        

       En traversant le hall de l'hôtel, elle jette machinalement un oeil sur le réceptionniste qui semble toujours aussi absorbé par la lecture de son magazine et ne daigne même pas relever la tête, tandis que sa cliente se dirige déjà  vers la sortie.
       

       Comme le lui a indiqué ce dernier, l'entrée du cimetière lui apparaît presque aussitôt après qu'elle ait quitté l'établissement.     
       

       Bien que peu convaincue du bien-fondé de sa démarche, c'est le coeur battant qu'elle progresse à  présent d'un pas lent et discret le long de l'allée qui borde les tombes, l'oeil attentif aux inscriptions gravées sur les caveaux ... Lorsque soudain elle a tressailli ...   
       

       Elle vient de repérer le pentagramme, l'étoile à  cinq branches percée d'un trident, tracée sur l'une des sépultures qui est censée renfermer sa dépouille, ce qui correspond à la description de son mystérieux messager. Une seule inscription en langue latine : " In hoc signo vinces " * dont elle ne saisit pas le sens, figure sous l'étoile, sans autre indication sur l'identité du défunt. Reste à savoir de quelle manière elle va procéder et surtout, si elle doit poursuivre dans cette voie ou tout simplement renoncer, car le sens de ce message lui semble de plus en plus fou ! Comment pourrait-elle être morte et enterrée en ces lieux, alors qu'elle est bien vivante, plantée devant ce tombeau qui, à l'évidence, ne peut être le sien !

(* Par ce signe, tu vaincras)

        
        Des pas qui crissent sur le gravier mêlés au bruit d'une respiration haletante lui font brusquement tourner la tête. Elle n'aperçoit pas le ou les responsables, hormis une silhouette furtive qui s'est aussitôt fondue dans la nuit naissante, créant du même coup une atmosphère inquiétante, ce qui la fait frissonner l'espace d'un instant. Après un dernier regard jeté aux alentours, elle s'est éloignée d'un pas étouffé,  s'empressant de se diriger vers la sortie. 

       
        Un cri sinistre et perçant vient de retentir, aigu et soutenu, comparable au cri sans fin d'un rapace torturé, suivi d'un silence non moins angoissant, la figeant instantanément dans une immobilité de statue. Son corps s'en trouve subitement paralysé, totalement insensible à la morsure que sa mâchoire inflige à sa lèvre inférieure, tandis qu'elle croit discerner une ombre imprécise qui se glisse entre les tombes. Une lueur d'effroi s'est allumée dans ses prunelles. Elle est toutefois parvenue à se reprendre pour se hâter vers la grande grille donnant accès au cimetière. L'oreille aux aguets, elle perçoit à présent un bruit de course qui va en s'amplifiant, se dirigeant à n'en pas douter dans sa direction, tandis que résonne un souffle rauque.     
       

       Un malaise intense a pris possession de la jeune femme. Elle sent avec angoisse une peur panique qui s'infiltre progressivement en elle. Elle s'est même mise à trembler de tous ses membres et une étrange sensation semble la pénétrer, une sensation de froid glacial. Affolée, elle a laissé choir son sac à main pour se précipiter vers la sortie, tandis que le souffle rauque s'est subitement transformé en une espèce de grognement rageur, pareil à celui d'une bête fauve dont la proie menace de s'échapper, mais une bête invisible.    

       
        C'est en courant qu'elle franchit la distance la séparant de son hôtel sans même s'être retournée, pour se ruer sur le portillon d'accès, heurtant brutalement l'homme qui quittait tranquillement l'établissement …   
       

       Hors d'haleine, une main sur la poitrine en un mouvement dénotant une gêne respiratoire passagère due à son essoufflement, la jeune femme a toutefois repris son sang froid. C'est à présent d'un air embarrassé qu'elle tente de se confondre en excuses, détaillant d'un regard navré celui qu'elle vient de bousculer par inadvertance.

       
       Celui-ci s'est empressé de lui adresser un sourire des plus rassurants, visiblement plus amusé par la mine confuse qu'elle continue d'afficher, que semblant se formaliser de l'incident dont il vient de faire les frais. Il la dévisage à son tour d'un air surpris ...      
       

       - Je ne vous avais pas vu ! … continue-t-elle d'une voix déconfite.  
        

       - Cela vous arrive souvent de jouer les cascadeuses ?… sourit l'autre sur le ton de la plaisanterie, avec un léger accent anglo-saxon.   
        

       - C'est que … je … bafouille-t-elle lamentablement, ce qui a pour conséquence de déclencher un rire clair et franc chez l'homme en question, svelte et bâti en athlète. Il ne paraît pas dépasser la quarantaine. Cheveux noirs taillés en courte brosse, il porte jean et pull à col roulé, un blouson de cuir noir jeté négligemment sur l'épaule, retenu par deux doigts.   
       

       - Je vous en prie mademoiselle. Il n'y a pas de mal. Mais permettez que je me présente. Mon nom est Dany Ballantine. Je suis Britannique.
        

       - Enchantée monsieur Ballantine … euh ... Je suis vraiment confuse … Sylvia Troletti … ajoute-t-elle en serrant maladroitement la main tendue… Mais je vous assure que…  
        

       - Oh, c'est déjà oublié ! Pas de mal je vous dis… insiste l'autre, banalisant déjà l'incident d'un geste de la main… Mais … si  je puis me permettre… continue-t-il en accentuant son sourire… Vous sembliez avoir le diable aux trousses comme disent les Français en pareille circonstance !
       

       - Euh …oui. En fait j'ai bêtement paniqué. Je reviens du cimetière et j'ai cru que quelqu'un en avait après moi. D'où mon affolement avec les conséquences malheureuses que vous venez de constater à vos dépends.
       

       - Après vous, dites-vous ? C'est étonnant ! Montségur est un petit village calme, d'ordinaire tranquille et sans histoire !
        

       - Vous avez certainement raison monsieur et …
        

       - Dany … Vous pouvez m'appeler Dany.
        

       - Excusez-moi encore Dany. Je me suis certainement affolée à tort. Vous m'en voyez sincèrement  navrée. J'en ai même perdu mon sac.
        

       - Qu'à cela ne tienne. Si vous le permettez, pressons-nous d'aller le récupérer avant que le vilain qui était à vos trousses ne se l'accapare… plaisante Ballantine avec un sourire réconfortant.     
        

       Moins de quelques minutes plus tard, ils pénètrent dans le petit cimetière communal.  Sylvia a aussitôt repéré l'allée où elle avait laissé choir son sac à main, mais celui-ci a disparu.
        

       - Vous êtes certaine de l'avoir abandonné à cet endroit ? … insiste Ballantine.
        

       - Oui, je ne peux me tromper. C'est près du tombeau où je suis  … commence-t-elle, sans toutefois oser  terminer son explication,  brusquement embarrassée, soudainement consciente de sa maladresse vis à vis de cet inconnu des plus galants, mais qui risque de douter de sa raison.
        

       - Où vous êtes ?… relève cependant Ballantine en fronçant les sourcils.      
        

      Mais la jeune femme n'aura pas le loisir d'apporter un éclaircissement à sa déclaration … L'étrange cri qu'elle avait déjà perçu auparavant vient de retentir une nouvelle fois, tandis que des ombres menaçantes sortent de la nuit.
        

       Ballantine et sa compagne ont échangé des regards effarés, tandis qu'une impression de froid intense les enveloppe subitement.
        

       - Vite, par ici ! …a lancé Ballantine en agrippant le bras de la jeune femme qui levait déjà sur lui un regard désemparé, l'entraînant vivement vers la sortie.

        Une course-poursuite s'est aussitôt engagée et un long hurlement inhumain a retenti.
        

       Plusieurs silhouettes légèrement voûtées, revêtues dirait-on d'une cape, la tête encapuchonnée, comme sorties du néant telle une nuée fantomatique, se déplacent subitement dans leur champ de vision, entamant une manœuvre d'encerclement. 
        

       A l'instant où l'un de ces êtres hallucinants s'est rué sur lui en feulant, Ballantine s'est instinctivement courbé ... D'un coup de rein, il l'a projeté par-dessus son épaule, accompagnant son action d'un violent coup de pied expédié à toute volée, envoyant une seconde créature au tapis.  
        

       Une brèche s'est ouverte dans le cercle des mystérieuses apparitions cauchemardesques. Visiblement surprises par cette contre-offensive des plus musclées, elles ont stoppé leur attaque.  D'étranges grognements semblables à des plaintes de damnés mêlées à des grincements convulsifs résonnent dans le cimetière. Ce flottement passager a laissé inopinément l'occasion aux deux autres de se précipiter vers la sortie sans demander leur reste.  
        

       Au terme d'une course folle qui n'a pourtant duré qu'une poignée de minutes, Ballantine, qui s'est retourné à plusieurs reprises, a constaté qu'ils n'étaient pas poursuivis. Mais ils ont sursauté ... Un long cri bestial, vrillant, tranchant, effroyable, semblable à un hurlement démoniaque et coléreux, vient de résonner une nouvelle fois comme une menace latente à travers la nuit.
        

       - C'est incroyable ! … s'est exclamée Sylvia d'une voix étranglée en se jetant une nouvelle fois sur le portail du hall de l'hôtel.
        

       - Je ne sais pas à qui ou à quoi nous avons eu affaire, mais j'ai la nette impression que nous l'avons échappé belle… réalise notre ami en reprenant sa respiration, tout en détaillant le visage dilaté de la jeune femme dont les yeux continuent d'exprimer une sourde terreur… Tout compte fait, je pense mériter une petite explication de votre part. Mon petit doigt me dit que vous ne devez pas être étrangère à ce phénomène… se presse-t-il d'ajouter en surveillant l'extérieur à travers la porte vitrée.

       
       L'ennui et l'hésitation semblent aussitôt prendre possession de la jeune femme.
        

       - Vous ne me croiriez pas monsieur Ballantine et …
        

       - Dany … Vous vous souvenez. Appelez-moi Dany… l'interrompt ce dernier avec un sourire engageant.
        

       - Oui. Excusez-moi Dany. Mais …
        

       - Mais ?
        

       - Et bien voilà. Au risque de passer pour une folle, ceci est l'objet de ma visite en ces lieux … déclare-t-elle sur le ton de la confession, en extirpant la lettre de sa poche avec la moue appropriée pour la remettre à Ballantine.  
        

       - Je peux ?… s'assure toutefois celui-ci avec un geste embarrassé.
        

       - Je vous en prie. Mais vous risquez d'être surpris.
        

       Ballantine a parcouru la missive d'un œil attentif.
        

       - D'emblée, on pourrait croire à un canular… murmure-t-il, la mine réfléchie …  Mais voyez-vous mademoiselle…
        

       - Sylvia … lui souffle-t-elle à son tour, avec un sourire en coin.
        

       - Voyez-vous Sylvia, l'étrange incident dont nous venons d'être l'objet me laisse méditatif. Comme je vous le disais, j'ignore par qui ou par quoi nous avons été agressés. Par contre, ce dont je suis pratiquement certain, c'est le fait que ces créatures n'avaient rien d'humain. 
       

       - Et vous avez entendu ces hurlements démoniaques !… frissonne encore la jeune femme. 
        

       - Démoniaque est en effet le mot qui convient. Ce qui est plus étrange encore, c'est le fait que ces " choses " dégageaient une sensation de froid comparable, dirons-nous, à du marbre… souligne Ballantine, le menton pris entre le pouce et l'index.

 

*          *

                                                             

       Ballantine et la jeune femme sont installés l'un en face de l'autre, autour de l'une des tables du salon de l'hôtel. Il est près de 19 h. Etant donné la tournure aussi énigmatique qu'inquiétante, voire même menaçante que prend l'incident, tous deux ont une mine réfléchie, commentant les derniers événements avec une certaine velléité.
       

       - Je ne voudrais pas vous inquiéter Sylvia. Loin de moi cette idée. Cependant, il est à considérer que ce à quoi nous venons d'être confrontés ce soir, pourrait bien avoir un lien avec le contenu de cet étrange message... confie Ballantine, visiblement préoccupé.
       

       - Vous … Vous pensez que … 
        

       - Oui. Et si vous permettez que je vous donne mon avis, ces créatures de cauchemar qui nous ont agressés, pourraient bien tenter de s'en prendre à nouveau à votre personne… appréhende-t-il avec une grimace mal réprimée.
        

        - Mon Dieu, que vais-je faire !  
        

       - Il ne sert à rien de vous tourmenter pour l'instant… poursuit Ballantine en s'efforçant de prendre un ton rassurant… Mais pour cette nuit, en restant ici et sans protection, je crains que vous ne receviez une visite pour le moins désagréable.  
        

       - Mais … Où voulez-vous que …  
        

       - Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, vous passerez la nuit dans la villa de mon amiet compatriote le professeur Joseph Winter. Croyez-moi, il sera ravi de vous héberger. Qu'en pensez-vous ?
        

       - Eh bien …euh … Je ne sais pas … J'ai peur de déranger et …
        

       - N'ayez surtout aucune inquiétude à ce sujet. Vous verrez, le professeur sera ravi d'accueillir une jeune femme aussi ravissante dans ses murs.
        

       Visiblement embarrassée, l'intéressée hésite un instant. 
        

       - Bon, j'accepte volontiers votre hospitalité … finit-elle par décider, en gratifiant son nouvel ami d'un sourire timide, mais emprunt de reconnaissance.
        

       Elle a récupéré ses bagages sous le regard inquisiteur et plutôt inquiet de l'hôtelier, qui voit d'un mauvais œil ce départ anticipé et précipité. Mais Ballantine qui fait certainement partie de son entourage familier s'est empressé de le rassurer. Il a assurément trouvé la bonne excuse, car l'homme paraît cette fois non seulement faire preuve de compréhension, mais également d'une certaine indulgence. Il ne s'est d'ailleurs guère fait prier pour rembourser sa cliente en esquissant un sourire navré.
        

       Cinq petites minutes auront suffi à rallier l'imposante propriété du professeur Joseph Winter, archéologue de son état et ami inséparable de Dany Ballantine. C'est avec un évident plaisir que la jeune femme s'est attardée durant quelques instants à contempler l'élégante et spacieuse résidence, séduite par la beauté et le charme qui se dégage de cet ancien corps de ferme luxueusement rénové avec un goût des plus raffinés. 

         
        Emmitouflée au cœur d'un parc immense tapissé de pelouses verdoyantes et de massifs fleuris, elle est éclairée comme en plein jour par des rampes de projecteurs dissimulées sous des tapis de verdure. 

         
        Ils en ont à peine franchi le seuil, qu'un domestique en livrée, portant l'habit de majordome avec gilet jaune rayé de noir, s'est déjà précipité.  Il salue la nouvelle arrivante avec courtoisie, dans la plus stricte tradition du protocole anglo-saxon, en y ajoutant une respectueuse inclinaison du buste. L'accent avec lequel il  s'est exprimé ne laisse aucun doute quant à sa nationalité.   
        

       - Je te présente mademoiselle Sylvia Troletti. Elle est Française… lui souffle Ballantine en désignant la susnommée, qui gratifie à son tour l'employé de maison d'un sourire discret… Où se trouve le professeur ?… enchaîne notre ami en déposant son blouson sur le dossier d'un siège. 
        

       - Monsieur est dans le grand salon… l'informe le majordome avant de tourner poliment les talons pour se diriger vers les cuisines, après avoir débarrassé la jeune femme de sa jaquette.
        

       - C'est Alexander. L'homme de confiance du  professeur… indique Ballantine à sa nouvelle amie, en l'entraînant avec empressement à la rencontre du maître des lieux.
        

       Ils viennent de pénétrer dans la pièce principale dont les murs sont garnis de toiles de maîtres. Un singulier personnage, accusant la soixantaine bien sonnée, se tient derrière un bureau monumental près de l'imposante bibliothèque qui regorge d'ouvrages. Il a le front partiellement dégarni et porte de petites lunettes cerclées d'acier sur le bout du nez. Sa veste d'intérieur laissant voir un col de chemise orné d'un nœud papillon des plus volumineux, le met parfaitement en harmonie avec son univers.
       

       - Nous avons une visite professeur … l'avise Ballantine en refermant la porte.   
        

       - Une charmante visite… constate l'interpellé en dévisageant la jeune femme par-dessus ses besicles et en lui adressant un sourire des plus engageants.
        

       - J'ai convié mademoiselle Troletti à passer la nuit sous votre toit. Des vilains sont à ses trousses. 

        - C'est une très bonne initiative… se réjouit aussitôt ce dernier en tendant une main chaleureuse à l'intéressée en guise de bienvenue… Des vilains dites-vous ?
        

       - En réalité, je crois que notre amie se trouve au cœur d'une bien étrange affaire… précise Ballantine avec une moue circonstancielle.  
        

       Tous trois sont à présent calés dans les confortables fauteuils de style anglais qui meublent le grand salon, illuminé par le feu de bois qui crépite à travers la cheminée. Les discussions vont bon train. Le professeur, qui a parcouru le mystérieux message à son tour, a également été informé du déroulement des derniers événements, ce qui le déconcerte totalement.
       

       - A vous entendre, on serait tenté de croire que des spectres hantent le cimetière !… s'effare-t-il en avalant une gorgée de son cognac millésimé que vient de leur servir Alexander, avant d'en faire claquer sa langue de satisfaction.
        

       - Vous ne croyez pas si bien dire professeur… relève Ballantine… Je vais même vous avouer que l'espace d'un instant, lorsque ces … " choses " nous ont agressés, j'ai eu le sentiment et le reflet morbide de me trouver en enfer, face à une horde de créatures démoniaques en quête de victimes potentielles.
        

       - Il y a aussi cette curieuse sensation de froid que nous avons ressentie… souligne la jeune femme en frissonnant.
        

         - En premier lieu et si nous voulons prendre les choses par le début,… observe Winter en bourrant soigneusement la pipe qu'il vient d'extraire d'un tiroir… il nous faut considérer si vous devez ou non prendre au sérieux la teneur de cet étrange message, car son auteur est anonyme. En outre, cette agression dont vous avez été les victimes peut en être le résultat de cause à effet.
        

       - Il prétend faire partie de la congrégation de l'Ordre de l'Etoile d'Argent. Une secte sans aucun doute… gage Ballantine, songeur.
        

       - Pas si vite Dany !… tempère aussitôt Winter en tirant précipitamment une bouffée de son brûle-gueule, la tête environnée d'un nuage de fumée… Si je ne m'abuse, cet Ordre singulier, inconnu des profanes, réunissait des membres dont les préceptes étaient basés sur le fait qu'une Intelligence Supérieure gouverne l'Univers ainsi que tout ce qui s'y trouve. Cette communauté secrète vivait en marge de la société, retirée du monde des humains. Nul n'a jamais su exactement qui étaient ces gens, d'où ils venaient réellement et quel était leur véritable but. Leur raison d'être a toujours été entourée d'un épais mystère. Ils apparurent en France en l'an 800, sous le règne des Carolingiens. Leur origine reste encore inexpliquée de nos jours… commente encore Winter, en parcourant du regard les étagères de sa volumineuse bibliothèque.

        Puis, s'emparant d'un volume qu'il feuillette durant quelques secondes avec une attention soutenue … Voilà. J'y suis … indique-t-il, en déposant délicatement sa pipe dans un cendrier… D'après ce qui est dit ici, les membres qui revendiquaient le prestigieux blason de la Congrégation de L'Ordre de l'Etoile d'Argent avaient pour nom les Chrestians. Ils avaient l'originalité d'être dotés de particularités physiques assez étonnantes : Ils étaient chauves, dépourvus d'oreilles et avaient les pieds et les mains palmés. (véridique)
       

       - Des caractéristiques physiologiques pour le moins surprenantes et hors du commun !… souligne Ballantine, avec une mimique de surprise.
        

       - C'est également mon avis… acquiesce Winter… Comme cet aspect était précisément considéré comme repoussant, ce qui paraît d'ailleurs justifié, vous en conviendrez, obligation leur était faite de se vêtir avec discrétion, afin de dissimuler autant que possible ce physique disgracieux. Ils avaient en outre, comme autre contrainte, charge de porter, cousue sur leurs vêtements et bien en vue sur la poitrine, une patte d'oie séchée et peinte en rouge. Cette signalétique rappelait à la population que ces êtres avaient ce singulier point commun avec les palmipèdes.
        

       - Cette race paraît avoir subi une ségrégation des plus sévères !… note encore Ballantine, visiblement interloqué.
        

       - Ces êtres atypiques soumis au port d'un insigne distinctif appelé couramment le signe d'infamie et qui vécurent en marginalité de la race humaine, essaimèrent surtout en Europe avant de disparaître. Ils ne donnèrent plus signe de vie depuis le début de ce siècle… résume encore Winter avec une moue de tergiversation.
        

       - Apparemment vous n'êtes plus en possession de l'enveloppe qui contenait le message ?… s'enquiert pensivement Ballantine auprès de la jeune femme.
        

       - Non. J'avoue que je n'ai pas jugé utile de la conserver.
        

       - En fait, la première chose à faire serait de retrouver l'auteur de cette mise en garde assez particulière… suggère encore Ballantine.
        

       - Lorsque cette lettre vous est parvenue, avez-vous prêté attention au lieu d'expédition figurant sur l'estampille de la poste ?… enchaîne Winter, le menton pris entre le pouce et l'index.   
        

       - Oui. En effet… acquiesce Sylvia, tout à coup réfléchie... Le cachet indiquait Lavelanet, si mes souvenirs sont exacts.
        

       - Lavelanet !… s'étonnent conjointement les deux autres, sourcils froncés.
        

       - Oui. Lavelanet. Mais je ne sais pas …
        

       - Lavelanet se trouve à une vingtaine de kilomètres de Montségur… mentionne aussitôt Winter.  
        

       - Si notre homme réside dans cette commune et s'il obéit aux caractéristiques physiques que vous nous avez décrites professeur, il nous sera je pense relativement aisé de l'identifier… réalise Ballantine.
        

       - Assurément. En supposant toutefois que ce soit réellement un membre de la Congrégation de l'Ordre de l'Etoile d'Argent comme il le prétend… souligne Winter avec une moue de perplexité.
        

       - Toujours est-il que lui seul serait en mesure d'apporter les éclaircissements nécessaires à cette mise en garde pour le moins singulière… observe Ballantine… Il est vrai que l'on aurait pu la croire dénuée de sens, si nous n'avions été nous-mêmes confrontés à ces étranges créatures sorties d'un mauvais film d'épouvante et qui n'étaient pas là pour la démentir… rappelle-t-il encore avec une grimace mal réprimée… Si je me fie à mon instinct, ce à quoi nous avons assisté ce soir est certainement en corrélation étroite avec le contenu de ce mystérieux message.
        

       - Je suis également de cet avis… relève Winter en avalant d'un trait sa dernière goutte d'alcool.  
        

       - Si vous êtes d'accord tous les deux et si vous acceptez notre aide Sylvia, je propose que nous allions faire un tour du côté de Lavelanet dès demain… suggère Ballantine sur le ton de la conclusion.
        

       Le sourire approbateur de la jeune femme semble avoir suffi à notre ami. Quant au professeur, il a simplement haussé les épaules en guise d'assentiment.

 

 CHAPITRE II

                                                       

        Le lendemain, 7 octobre 2003 … 10h35 …
  
        La berline du professeur vient de se garer le long de la rue principale de  Lavelanet, libérant aussitôt son trio d'enquêteurs occasionnels.
       

       - Nous pourrons peut-être glaner quelque information à l'intérieur de ce troquet… présume Ballantine en désignant d'un geste le "café du commerce  "… Dans ce genre d'établissement, nous risquons d'apprendre quelque chose d'intéressant.     
        

       C'est jour de marché et la place de cette petite bourgade de 8.400 habitants grouille de clients qui s'affairent auprès des étals des marchands. Le bistrot en question résonne d'un charivari assourdissant, mêlant à la fois les conversations qui vont bon train au chahut des consommateurs, le tout noyé dans un univers de fumée. Mais Ballantine vient de repérer une table restée libre au fond de la salle. 
       

       Installés sous un ventilateur poussif, ils détaillent les personnes présentes avec une attention soutenue, cherchant à tout hasard à identifier leur lascar parmi l'assistance. C'est peine perdue et c'est le serveur venu prendre la commande qui met un terme à leur observation ... 
       

       - Nous recherchons un homme au physique assez particulier… glisse Ballantine avec un sourire d'amabilité envers le garçon de café. 
        

       - Un homme chauve, sans oreilles… complète impatiemment le professeur.
        

       - Vous voulez certainement parler de Gédéon… imagine sans hésitation le serveur en débarrassant la table des quelques verres vides qui l'encombraient, avant de l'essuyer d'un coup d'éponge.   
        

       - Gédéon ?… relève Ballantine avec une mimique de surprise.

       
       - Tout le monde ici le surnomme ainsi à cause de ses mains palmées. Vous savez, comme le canard du même nom dans les bandes dessinées… sourit le garçon en mimant brièvement le palmipède… D'ailleurs, à Lavelanet nous ignorons tous sa véritable identité… confie-t-il encore.
       

       - Les mains palmées ! C'est notre homme… réalise Winter avec une mine de satisfaction.
        

       - Est-ce que par hasard vous sauriez où habite ce … Gédéon ?… poursuit Ballantine.  
        

       - Derrière l'église. Vous n'aurez qu'à demander. Ici tout le monde le connaît.
        

       - Nous vous remercions pour votre amabilité. Nous prendrons trois thés… conclut aussitôt Ballantine en lui adressant un sourire d'obligeance.
        

       Quelques minutes plus tard, soulagé d'avoir quitté cet environnement enfumé, le trio est déjà rendu près de l'église de la commune. Le moteur de la berline tournant au ralenti, ils guettent le premier passant susceptible de pouvoir les renseigner ; ce qui ne tarde guère, une jeune femme se dirigeant déjà dans leur direction.
        

       - Excusez-nous de vous importuner !… l'interpelle Ballantine en affichant un sourire des plus courtois… Nous cherchons Gédéon ?
        

       - Gédéon ! … relève-t-elle en indiquant aussitôt une habitation sans aucune hésitation… C'est là ! … La quatrième maison avec le porche.     
        

       Sitôt après avoir remercié cette obligeante personne, ils ont tôt fait de garer leur véhicule avant de sonner au n° 32 où est censé demeurer l'homme en question.
        

       La porte s'est ouverte sur un étrange personnage ressemblant grossièrement à un être humain. Il est vêtu d'une tunique écarlate et il est quasiment impossible de lui donner un âge. Ce qui frappe ses visiteurs au premier abord, ce n'est pas son teint olivâtre, ni le fait qu'il soit chauve, mais davantage le regard inquisiteur et pétillant d'un bleu intense, presque irréel, qu'il vient de porter sur leurs personnes. Comme l'avait indiqué le professeur, il n'a pas de pavillons d'oreilles, mais deux simples trous comme chez les sauriens dont il a l'aspect. Le visage est lisse comme celui d'un adolescent, tout en étant disgracieux. L'intéressé dégage une chaleur corporelle anormale.

        
       Mais il vient de tressaillir en posant son regard sur la jeune femme, avant de la dévisager avec une intensité quasi insoutenable ...  
        

       - Vous ici !… s'exclame-t-il d'une voix tremblante, sans même chercher à dissimuler son désarroi.
        

       - Nous voudrions une explication… glisse Ballantine sans plus attendre.
        

       - Qui êtes-vous ?…se reprend l'étrange personnage en s'adressant cette fois aux deux hommes, les détaillant d'un regard méfiant, tentant de se ressaisir. 
        

       - Nous sommes des amis de mademoiselle Troletti. Mon nom est Dany Ballantine. Et voici le professeur Joseph Winter.
        

       Quelques secondes d'hésitation auront suffi pour que l'homme se décide…
        

       - Bon … Entrez vite !… les prie-t-il aussitôt, la moue embarrassée, après avoir promené un regard circonspect à l'extérieur, avant de refermer précipitamment la porte.
        

       - Vous semblez connaître cette jeune femme… observe Ballantine, sourcils froncés.
        

       - C'est vous l'auteur de la lettre ?… complète d'emblée Winter sur un ton pressant.

        
       Devant cette entrée en matière plutôt musclée, l'autre semble subitement mal à l'aise.
        

       - Vous n'auriez pas dû venir ici… se contente-t-il de répliquer, la remarque assortie d'un geste accablé.
        

       - Vous vous devez de vous expliquer sur le sens de cet étrange message que vous avez envoyé à cette jeune personne !… poursuit le professeur sur un ton peu amène.
        

       L'homme a laissé fuser un soupir de résignation.
        

       - Les mondes visibles et invisibles sont sur le point de cohabiter… laisse-t-il tomber d'une voix lasse et discordante, avec une grimace de contrariété.
        

       Winter et Ballantine ont échangé des regards chargés de suspicion.
        

       - Si c'est une plaisanterie, permettez-moi de vous dire que je la trouve plutôt grotesque… ricane ce dernier avec la moue appropriée.
        

       - Pardonnez-moi monsieur, mais je n'ai guère l'esprit à plaisanter… se défend vivement l'homme, en les invitant d'un geste à pénétrer dans la pièce qui lui sert à la fois de cuisine et de salle à manger.
        

       - Vous conviendrez toutefois que le contenu de votre message a de quoi surprendre ! Quand bien même nous lui accorderions le moindre crédit… enchaîne Winter.
        

       - Il existe des vérités que les humains ne peuvent comprendre. Nul ne sait encore où finit le rationnel et où commence l'irrationnel… argumente l'homme en invitant ses hôtes à prendre un siège.
        

       - Pourriez-vous être un peu plus précis ?… le prie Ballantine en le considérant d'un air interloqué.
        

       - Depuis peu, un univers fantôme coexiste avec le nôtre… confesse l'homme sans plus attendre.
        

       - Un quoi ?… tique Ballantine, tandis que Winter a haussé les sourcils et que la jeune femme paraît à son tour ne pas saisir le sens de la repartie.
        

       - Pardonnez-moi monsieur … ?
        

       - Ballantine… rappelle l'intéressé.
        

       - Excusez-moi monsieur Ballantine. En ce moment je n'ai plus trop ma tête. Bien que cela paraisse relever de la fiction, un univers fantôme interfère depuis peu  avec le nôtre. Il est omniprésent et invisible, mais cependant bien réel… ajoute-t-il d'une voix mécanique.
        

       - Pourriez-vous être plus clair ?… insiste cette fois le professeur en le fixant avec insistance par-dessus ses lorgnons.   
        

       L'autre a affiché une grimace de lassitude, laissant même fuser un soupir de résignation avant de prendre un air fataliste qui lui déforme un peu plus la face.
        

       - L'humanité est en grand danger messieurs. Seule votre amie a peut-être le pouvoir, s'il en est temps encore, de contrer les forces infernales qui ne vont pas tarder à déferler sur la planète.
        

       - Les forces infernales !… s'effare Winter avec un air d'incrédulité, enveloppant l'autre d'un regard étonné. 

         
        - Je comprends parfaitement votre scepticisme. Mais le message que j'ai adressé à mademoiselle Troletti est la stricte et impensable vérité.
        

       - Qu'a-t-elle à voir dans cette histoire de fous ?… affabule cette fois Ballantine, en affichant à son tour une moue désabusée.
        

       - C'est elle et elle seule qui détient la pierre de Tuaoi… argumente Gédéon.
        

       - La pierre de Tuaoi ?… répète mécaniquement le professeur en fronçant les sourcils.
        

       - Cette pierre est en fait la clé de l'Univers… précise Gédéon.
        

       - J'oubliais cette histoire de pierre… pouffe Ballantine, dont le visage reflète les stigmates d'une incrédulité croissante.
        

       L'autre s'en est aperçu.
        

       - Ce cristal en forme de prisme cylindrique a appartenu aux Atlantes. Il servait à rassembler et à concentrer l'énergie, permettant à ses utilisateurs d'accomplir des choses fantastiques. Mais je vois que vous ne me prenez pas au sérieux… constate-t-il d'une voix éteinte et empreinte d'un évident regret… Tout bien considéré, tout ceci n'a plus d'importance. Les goules ne vont plus tarder à être à pied d'œuvre dans le cimetière… ajoute-t-il avec un mouvement fataliste des épaules.
        

       Cette fois, ses trois visiteurs ont tressailli.   
        

       - Les goules !… relève Ballantine sourcils froncés.
        

       - Mon Dieu tout ceci serait donc vrai !… réalise à son tour Sylvia en dirigeant un visage tourmenté en direction de ses deux compagnons.
        

       - Cela paraît inconcevable, voire ahurissant !… s'émeut cette fois le professeur.
        
      Devant ce brusque changement d'attitude, Gédéon semble subitement déconcerté, sans toutefois saisir correctement le sens de ce revirement, pour le moins inattendu.
        

       - Mademoiselle Troletti et moi-même avons été agressés la nuit dernière dans le cimetière… rapporte alors Ballantine avec une moue réfléchie. 
        

       - Vous voyez, ils sont déjà là ! Ils sont déjà là !… s'exclame le Chrestian en quittant précipitamment son siège… Les spectres mangeurs d'âmes rôdent dans le cimetière !
        

       - Calmez-vous mon ami !… tempère Winter en échangeant un regard halluciné avec ses deux compagnons.
        

       - Professeur, vous ne réalisez pas encore, mais ils sont là !… insiste Gédéon, visiblement affolé.
        

       - Je présume que vous voulez parler des goules… imagine Ballantine.
        

       - Précisément monsieur. Les goules ! Leur présence au cimetière prouve qu'ils ont trouvé le moyen de traverser le seuil dimensionnel qui nous séparait jusqu'ici de leur univers… commente l'homme d'une voix altérée, laissant deviner en lui une tension inhabituelle trahissant son désarroi.
        

       - Tout cela n'est pas très clair… grince Ballantine, perplexe… Il n'y a peut-être aucun doute en ce qui concerne une présence démoniaque dans le cimetière, mais de là à ...
        

       - Des forces obscures dont vous n'avez pas idée ont pris possession des lieux afin de s'en prendre au tombeau… l'interrompt le Chrestian, dont les pupilles dilatées sous l'effet d'un affolement croissant le font tout à coup ressembler à un démon. 
        

       - Le tombeau ?… s'interroge Ballantine, l'invitant du regard à clarifier sa déclaration.
        

       - La sépulture de mademoiselle Troletti… complète Gédéon avec un réalisme déconcertant.
        

       - Alors, comment expliquez-vous la présence de l'intéressée ici ... sous votre toit ... en cet instant précis ?… raille Ballantine, la remarque assortie d'un haussement des épaules.
        

       - Je … Je comprends encore une fois votre incrédulité monsieur Ballantine, car vous ignorez encore tout de cette étrange et incroyable histoire… argumente l'autre sur un ton empressé, ravalant sa salive à plusieurs reprises, trahissant cette fois une nervosité poussée à l'extrême.
        

       - Nous serions évidemment plus amenés à vous croire si vous nous expliquiez à quoi rime tout cela !… ergote à son tour Winter avec une moue de perplexité.
        

       - Plus tard, si vous le permettez … Pour l'instant, le temps presse. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, il nous faut à tout prix exhumer le … le corps de mademoiselle avant la nuit, afin de récupérer le cristal… anticipe le Chrestian, visiblement mal à l'aise vis-à-vis de la personne concernée, pourtant présente à ses côtés.                             
        

       - Voyons cher monsieur ! Même si nous partagions avec vous cette idée saugrenue, la chose s'avérerait de toute manière impossible à réaliser en plein jour !… objecte Winter avec un haussement d'épaules des plus significatifs.
        

      - Nous attendrons le crépuscule afin de pouvoir agir en toute discrétion… argumente Gédéon en ébauchant un geste trahissant son impatience.    
        

        Cette fois, les trois autres semblent pris de court devant cette argumentation des plus fondées. Mis au pied du mur par le déroulement des derniers événements paraissant accréditer les dires de cet étrange bonhomme, ils ont échangé des regards perplexes et embarrassés.
        

       - Ce que vous nous demandez là est en marge de la légalité… murmure le professeur sur un ton de reproche, en se grattant nerveusement l'occiput, cherchant toutefois du regard l'avis de ses compagnons.
        

       - Cette histoire relève de la loufoquerie, mais … je reconnais que les incidents qui se sont déroulés au cimetière me déroutent. Je suis incapable de leur donner une explication rationnelle… admet Ballantine en se caressant pensivement le menton …Bon, je veux bien admettre que l'étrange incident du cimetière me laisse perplexe...  concède-t-il après une ultime hésitation... Je pense qu'effectivement nous devrions nous rendre compte par nous-mêmes… estime-t-il au terme de quelques secondes de réflexion, cherchant à son tour l'approbation des deux autres.
       

       Winter a haussé les épaules en guise d'assentiment ; tandis que Sylvia lui a fait comprendre d'un sourire qu'elle s'en remettait à sa décision.

 

*          *

                                                                        

        L'obscurité a envahi le petit bourg de Montségur.       

        
        La conduite intérieure pilotée par Dany Ballantine vient de se garer dans une rue avoisinant le cimetière.
        

       Etant donné les risques à présent liés à leur entreprise, Ballantine et Winter ont pris la précaution de s'armer individuellement d'un MR73 en 4 pouces calibre 357 magnum, une arme de poing redoutable aux munitions puissantes. Ils se sont également munis de deux torches électriques. 
        

       Les trois hommes et la jeune femme se glissent à présent comme des ombres entre les sépultures, tous les sens en alerte.
        

       La silhouette sombre des arbres et le vent qui agite les branches qui bruissent dans les ténèbres concourent à créer une ambiance angoissante. On ne perçoit plus que le léger bruit de leurs pas qui crissent sur le gravier.

        
        C'est le cœur battant la chamade, qu'ils arrivent en vue du tombeau censé renfermer la dépouille de la jeune femme. Ils n'en sont plus qu'à quelques pas ; la lampe vient même d'accrocher la sépulture … Mais ils se sont aussitôt immobilisés, échangeant des regards effarés et Ballantine a eu un imperceptible froncement de sourcils.
        

       La dalle recouvrant le caveau n'est plus en place. Elle a glissé sur le côté et une brume mystérieuse s'échappe de la cavité, maintenant à ciel ouvert. 
        

       - Regardez… on dirait des traces de griffes !… murmure Ballantine en éclairant la pierre tombale, éraflée en plusieurs endroits.    
        

       - Nous arrivons trop tard !… dramatise Gédéon d'une voix blanche… L'empire de la nuit a pris possession des lieux. Des forces étranges et maléfiques nous ont précédés… continue-t-il sur le même ton de contrariété.
        

       Mais les trois autres n'ont pas relevé. La bouche grande ouverte et les sourcils en accents circonflexes, ils ont le regard rivé sur la fosse contenant le cercueil maintenant apparent, dont le couvercle a été arraché … 
        

       - C'est impossible !… murmure Ballantine, en échangeant un regard éberlué avec ses compagnons.  à suivre .............
           

         Extrait de : Le Manuscrit des Ombres -       Roman fantastique de Stephan LEWIS -

2 septembre 2011

Les Sondeurs du Temps

 
 

Les Sondeurs du Temps - de Stephan LEWIS

Stephan LEWIS premier à gauche, lors de la sortie de :
 
Les Sondeurs du Temps 

Les Sondeurs du Temps - de Stephan LEWIS

Stephan LEWIS 

Les Sondeurs du Temps

 Les Sondeurs du Temps - de Stephan LEWIS

 

RESUME -
 
     Le crâne de cristal découvert parmi les vestiges d'un temple maya au plus profond des jungles du Guatemala, va entraîner Dany Ballantine et le professeur Joseph Winter au sein d'une aventure fantastique. Mais ... gare au Golem, le gardien des Capsules du Temps, s'il faut en croire le mystérieux message laissé par un inconnu et la mise en garde des        Descendants de la Première Lumière.
     Un futur antérieur aurait-il déjà existé sur la planète Terre ?
     Toujours est-il, que nul ne peut soupçonner le drame qui guette les explorateurs de cette étrange et ténébreuse aventure, au sein de cette terre mystérieuse. Ils n'imaginent pas un seul instant qu'ils sont en passe de déclencher des événements terrifiants, visant à faire échouer la plus extraordinaire des découvertes, celle qui allait changer le cours de leur existence.

CHAPITRE  I

    
     - Professeur !  Professeur ! ... Venez voir  !
    
     L'invitation a été lancée par un homme jeune à la carrure athlétique, portant pour tout vêtement un simple pantalon de toile kaki. Il est coiffé d'une casquette à large visière et son torse musclé luit sous les rayons d'un soleil brûlant. Nous sommes quelque part dans le Peten, un territoire grand comme la Suisse, situé au plus profond des jungles tropicales du Guatemala. 
    
     Deux aras, grands perroquets grimpeurs, brusquement dérangés dans leur tranquillité, affolés et criards, s'envolent bruyamment vers les hautes branches en étalant la splendeur de leur plumage bleu et or, faisant lever la tête au personnage interpellé…  
    
     Ce dernier, qui accuse la soixantaine, se tient agenouillé près du fronton d'un temple maya, au milieu des vestiges de ce qui fut jadis une cité à présent enfouie et dévorée par la forêt tropicale. Il est occupé à déchiffrer des hiéroglyphes gravés sur une stèle prismatique en stuc de plusieurs mètres de hauteur, dont l'une des faces représente un personnage étrange et d'une taille démesurée. 
    
     Tout en tentant vainement de chasser une nuée de moustiques virevoltant en un nuage déplaisant, il s’est aussitôt retourné en direction de l'interpellateur, pour l'interroger du regard par-dessus ses petites lunettes cerclées d'acier qu'il porte en permanence sur le bout du nez.
    
     - Qu'y-a-t-il donc Dany ?  Vous avez trouvé quelque chose d'intéressant ?
    
     Sans répondre, le solide gaillard de 41 ans, aux yeux verts et cheveux noirs taillés en brosse, sujet de sa gracieuse majesté britannique à l'instar de son compagnon, ingénieur en électronique de son état et répondant au nom de Dany Ballantine, brandit un objet qu'il a déjà sommairement débarrassé de la gangue de terre et d'argile qui l'enveloppait.
    
     - Mais ... C'est un crâne humain que vous tenez entre les mains ! 
    
     - En effet professeur. A la différence prés, c'est que celui-ci  semble être en cristal.
    
     Tout en haussant les sourcils, le professeur Joseph Winter, éminent archéologue au front partiellement dégarni, portant pour la circonstance un chapeau de brousse à large bord et revêtu d'un léger pantalon detoile et d'une simple chemisette en coton, a épongé la sueur qui perle sur son front. Il s'est empressé de s'essuyer les mains sur sa chemise déjà maculée de poussière, dont le col largement échancré lui permet de supporter plus facilement lachaleur torride du climat tropical de l'Amérique Centrale, en cette journée du 12 septembre 1999.
    
     - En cristal dites-vous ?
    
     - Voyez vous-même professeur... propose Ballantine, qui s'est déjà approché en continuant de nettoyer son étrange trouvaille.
    
     Winter, qui s'est redressé, détaille aussitôt la pièce avec la plus vive curiosité. Les quatre Mexicains qui les assistent dans leurs fouilles et parlent leur langue, coiffés de l'inévitable sombrero à jugulaire de cuir, se sont avancés à leur tour.
    
     - Vous avez raison. On dirait bien du cristal !
      
     L'objet en question, qui vient maintenant d'être correctement nettoyé, s'avère être la réplique anatomiquement parfaite d'un crâne humain grandeur nature. Il s’agit certainement de celui d'un homme qui, à première vue, a été sculpté dans un seul morceau de cristal de quartz.
    
     - Quelle curieuse chose ! Regardez Dany ! Il est pourvu d'une mâchoire détachable et... de 31 dents !... s'étonne Winter, en constatant que l'une d'elles se rapportant à la partie postérieure fait défaut à la mâchoire.
    
     - Comme c'est étrange. Voyez professeur. L'emplacement de la trente-deuxième est pourtant prévu. Mais la cavité paraît volontairement vide, car il ne semble pas que l'on ait ôté l'une des dents. D'ailleurs, comme vous pouvez le constater, les autres font partie intégrante de la mâchoire, tandis que l'espace prévu pour la molaire manquante n'a pas le même aspect. Il comprend une espèce de pivot. Et cette chose fait bien dans les cinq kilos, si je ne m'abuse !    
   
     - Sans aucun doute… acquiesce Winter… Ce qui me déroute, c'est que ce crâne ne semble pas présenter le moindre défaut ! Aucune marque d'un quelconque outil qui aurait pu servir à sa fabrication!
   
     - Il y a assurément des lustres qu'il est enfoui à cet endroit.
    
     - A ma connaissance, aucun de mes confrères n'a encore eu vent de ces ruines mayas en ces lieux  perdus. C'est une aubaine que d'avoir dégoté ce sanctuaire! Sans grand risque d'erreur, je peux m'avancer en déclarant que cet objet est certainement ici depuis un bon millier d'années. Ce qui est étonnant, c'est que nous l'ayons découvert au milieu de ces vestiges d'une ancienne civilisation maya.  
   
     - C'est à tous les coups le grand-père des boules de cristal... plaisante Ballantine avec un gloussement amusé.
   
     - Notre trouvaille va vraisemblablement faire plancher bon nombre de mes confrères. Ce crâne est une pure merveille. Aucun défaut apparent. Et comme je vous le disais, même en y regardant de près, il ne porte pas la moindre trace d'un quelconque outil ayant pu servir à sa création. C'est déroutant ! Nous pouvons sans aucun doute  prétendre que toute la technologie du XXème siècle serait dans l'incapacité totale de réaliser un travail aussi délicat, pour obtenir un résultat d'une telle perfection...  finit par déclarer le professeur, la mine dubitative, en manipulant l'objet qu'il examine avec une attention soutenue.  
   
     - Mais que !... s'étonne soudain Ballantine ... 
    
     L'un des quatre chicleros (forestiers mexicains) s'est aussitôt incliné pour ramasser le petit tube métallique qui vient de glisser du crâne de cristal, pour le remettre à Ballantine.
    
     - Un cylindre de métal !... indique machinalement Winter, dont le visage reflète à présent la plus vive surprise.   
    
     - Il y a un rouleau de papier gommé à l'intérieur. C’est un écrit, libellé je crois, en espagnol... mentionne Ballantine, après avoir déroulé le parchemin.
    
     Celui-ci, réduit à une simple bande de papier grossier, jauni et tout craquelé, d'une vingtaine de centimètres sur huit de largeur, a visiblement été rédigé d'une main malhabile et hésitante.
    
     - C'est bien de l'espagnol... confirme Winter, qui maîtrise parfaitement cette langue encore utilisée officiellement au Mexique.
    
     D'une voix chevrotante, il en entreprend la lecture après avoir correctement  rajusté ses petites lunettes ...
    
     - " Mexico ... le 8 juin 1882 ... Je suis porteur d'un message à l'intention de celui ou ceux qui découvriront le Crâne de Cristal ... Que Dieu me pardonne. Je ne peux que leur transmettre une mise en garde, car je suis porteur d'un terrible secret. Mon nom n'a guère d'importance ... Voici l'histoiredu Crâne de Cristal ...
    Tout a commencé deux ans plus tôt. Le 15 mai 1880. Je faisais alors partie d'un groupe d'aventuriers embarqués pour l'Amérique Centrale. Direction le Peten,la région la plus grande mais la moins peuplée et la plus inhospitalière du  Guatemala, où nous partions à la recherche de la civilisation perdue de l'Atlantide... 
    Après plusieurs jours d'une marche harassante à travers la jungle, nous découvrîmes ces lieux par hasard, vestiges d'une cité secrète construite jadis par les Mayas.
    Nous nous attelâmes aussitôt à l'exploration du site.

    C'est en creusant sous l'autel du temple, que nous mîmes à jour le Crâne de Cristal, certainement enterré depuis des millénaires à cet endroit. J'ignorais alors que nos existences allaient s'en trouver à ce point bouleversées, et que ma vie et celle de mes infortunés compagnons s'en trouverait menacée. Sachez tout d'abord qu'en ce qui vous concerne, il n'est pas trop tard pour inverser les éléments terrifiants et irréversibles qui ne vont pas tarder à se déchaîner dans votre entourage et auxquels je n'y puis malheureusement rien. Vous êtes en possession du Crâne deCristal, révélateur d'un terrible secret, s'il faut en croire la Confrérie des Descendants de la Première Lumière. Si vous ne le replacez pas immédiatement à l'endroit où vous l'avez trouvé,  vous allez à votre tour réveiller le Golem, le Gardien des Capsules du Temps. Mes révélations vont certainement vous paraître fantaisistes, mais votre vie est d'ores et déjà en  danger si vous n'accordez aucune attention à cet avertissement. Le Golem, cette créature maléfique, est programmé pour intervenir et anéantir celui ou ceux qui se seront emparés du Crâne de Cristal.
  
  Mes sept compagnons en ont fait la triste expérience, pour avoir été, les uns après les autres, exterminés en moins de quelques jours. Les personnes ayant été en contact avec le crâne, ont été confrontées par la suite à des événements bizarres et horribles ou à d'inexplicables et étranges phénomènes. Je suis maintenant conscient que cette monstruosité est sur mes traces, restant le seul et malheureux survivant de cette triste et pour le moins étrange aventure. Aussi, avant d'en finir, me reste-t-il  de tenter d'apaiser la colère du Golem,  en replaçant le crâne à l'endroit exact où nous l'avons trouvé, sous l'autel du temple.
    Je ne sais si je survivrai à cette dramatique aventure, car il est assurément trop tard ... Que Dieu vous garde ..."
    
     Winter, tout en pinçant légèrement leslèvres, leur signifie que le texte du message s'arrête ici.   
     
     - Si c'est une plaisanterie, je la trouve plutôt d'un goût douteux!... ricane Ballantine en haussant les épaules, tout en esquissant un sourire amusé.
     
     - Et si l'auteur de ce message était sérieux ?... relève le professeur avec une moue circonstancielle, regardant son ami par-dessus ses besicles, laissant néanmoins penser qu'il n'en gobait assurément pas un traître mot.
     
     - Et cette menace viendrait d'un ... golem ! … Si l'on se réfère à la légende, le golem serait une créature artificielle à forme humaine, constituée essentiellement d'argile. Difficile d’admettre qu'une telle chose puisse s'en prendre à qui que ce soit ! A moins de rêver tout haut... raille Ballantine avec un rire étouffé, en se vrillant l'index sur la tempe.
   
     - Dans la Bible, le mot golem est employé à propos d'Adam, lorsqu'il est encore sans forme et que le souffle divin nel'a pas encore atteint... complète Winter en se grattant ce qui lui reste de cuir chevelu... Le golem réapparaît dans la mythologie juive et en Europe Orientale, pour semer la mort et la désolation. Des puissances invisibles l'habitent et l'animent. Il est comme guidé par une volonté extérieure démoniaque.
   
     - Que décidez-vous professeur ? On emmène ce truc ou ... on le remet vivement en place ?...  taquine Ballantine, en adressant un clin d'œil aux métis qui assistent à la conversation, un sourire narquois naissant à la commissure des lèvres, anticipant déjà intérieurement la réponse de son ami.
   
     - Une pièce d'une telle rareté !  Vous plaisantez ! Ce serait un crime envers l'archéologie que de dédaigner ce que le hasard a bien voulu nous offrir ! Je voudrais bien voir ça !...  se défend sans aucune retenue Winter, en fourrant vivement l'objet dans son havresac sous l'œil amusé de Ballantine et des quatre Mexicains, qui n'ont pu retenir un rire étouffé.
   
     Le soleil se couche déjà sur l'horizon. La chaleur s'est tout à coup faite moins accablante et d'autant plus supportable, et il a été décidé de regagner le campement. Celui-ci, réduità trois tentes légères, dont une compartimentée pour la servitude, a été installé à une vingtaine de mètres du site, auxabords d'une petite clairière perdue dans l'immense forêt vierge. C’esten son centre que s'estposé la veille le petit hélico pilotépar Ballantine, loué pour quelques jours en même temps que le matériel de camping à Florès, la capitale dudistrict du Peten. 
   
     Les Mexicains ont allumé un feu et l'un d'eux retourne d'une main experte les steaks sur le grill. Ballantine s'est installé auprès du professeur qui, à l'aide d'une puissante lampe torche, inspecte à présent et minutieusement chaque détail de leur énigmatique découverte. Maintenant qu'ils l'examinent en pleine lumière, l'objet présente toutes les caractéristiques d'un crâne véritable. Il se révèle être on ne peut plus finement ouvragé, reflétant un mélange de travail artisanal de haute précision, technique requérant au moins trois cents ans d'efforts humains, ce qui déroute totalement le professeur. Alors que celui-ci poursuit méticuleusement son inspection, Ballantine, qui jette machinalement un coup d'œil sur le crâne, a brusquement senti ses pulsations s'accélérer … Son compagnon en laisse même choir la courte pipe en écume qu'il tenait entre les dents.
   
     - Mais ... Qu'est-ce que c'est encore que !... s'effare Ballantine en écarquillant les yeux.
    
     - Il me semble que cela vient de l'intérieur du crâne !...balbutie Winter.
    
     Stupéfaits, tous deux constatent que les orbites viennent de s'allumer pour s'éteindre presque aussitôt, lorsque le professeur, aussi déconcerté que son compagnon, a vivement éteint la torche dont le faisceau de lumière inondait l'intérieur de l'objet.
   
     - Cette chose semble contenir une quantité phénoménale d'énergie !... murmure encore Winter, l'air ahuri.
    
     - Cela se pourrait... relève Ballantine... Mais les yeux se sont éteints aussitôt que vous ayez cessé d'éclairer l'intérieur du crâne. J'imagine qu'une partie du palais doit jouer le rôle d'un prisme. Lorsqu'une source lumineuse, tels les rayons de votre torche en l'occurrence, est placée sous le crâne, le prisme projette la lumière vers le haut et à travers les yeux. 
   
     Comme pour accréditer sa version des faits, le même phénomène se reproduit aussitôt, Winter ayant rallumé sa torche et l'ayant placée de nouveau sous l'objet. Les rayons lumineux convergent vers les orbites en une lueur diffuse et intense.
    
     - Vous voyez !  C'est étonnant, mais c'est bien ce que je pensais... conforte Ballantine, toutefois aussi dérouté que son compagnon ; lequel paraît on ne peut plus impressionné par la facture de l'objet.
   
     - La complexité de ce montage optique doit certainement servir à quelque chose... finit par admettre ce dernier, de plus en plus intrigué par l'étrangeté du phénomène.
   
     - Un peu de patience professeur. Je crois que nous avons la réponse à votre question. Nous n'allons pas tarder à être fixés... murmure Ballantine, le regard rivé sur le crâne de cristal, dont le rayonnement s'est brusquement accentué ; tandis qu'à leur plus profond désarroi, une aura brillante et verdâtre entoure à présent l'objet.
   
     Le spectacle hallucinant qui prend alors forme sous leurs yeux, est tellement insolite qu'ils en restent un court instant déconcertés et abasourdis … Une image floue, mais en trois dimensions, semblant en suspension à quelques mètres du sol, comme projetée par un puissant rayon lumineux sur un écran invisible, émane à présentdes orbites du crâne.  
   
     - Nom d'une pipe, une projection holographique !... s'effare le professeur, bouche bée, en se tamponnant le front à l'aide d'un mouchoir, tandis que les Mexicains, stupéfaits, ont cessé toute activité. 
   
     Ballantine, sans souffler mot, s’est passé une main ouverte dans sa courte brosse en ayant un froncement de sourcils.
    
     Les lueurs de l'image en relief projettent à présent d'étranges reflets sur la toile des tentes, tandis que l'hologramme paraît de plus en plus net.
    
     Winter et Ballantine l'ont immédiatement interprété …
     
     - La configuration de notre système planétaire!... commente ce dernier en échangeant un regard éberlué avec le professeur.
     
     Ils assistent alors à la lente apparition des neuf planètes du système solaire, qui se positionnent successivement et exactement à la place qu'elles occupent par rapport au Soleil. La quatrième, immédiatement reconnaissable en raison de sa couleur orangée, s’est subitement désolidarisée du système. Elle paraît à présent en gros plan, tandis que le cortège des huit autres s'estompe progressivement, laissant exclusivement la planète rouge envahir l'écran qu'elle traverse d'une seule traite en diagonale.
   
      - Mars !... commente machinalement le professeur en se tournant vers son ami.  
   
     Les six hommes, effarés, observent à présent l'étrange balai qui se déroule sous leurs yeux, sans plus de commentaire. Un serpent est maintenant représenté aux côtés de la planète rouge. Puis, bien que la lampe du professeur soit toujours en action, l'hologramme a brusquement disparu, comme une bulle de savon qui éclate.
   
     - C'est incroyable ! Cette œuvre d'art a bien emmagasiné des énergies qu'elle est à même de restituer sous formes d'images holographiques ! C'est vraiment stupéfiant !... souffle Ballantine.
     
     - Mon cher Dany, je crois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises ... Cet objet ne peut de toute évidence être apparenté à tout ce qui touche de près ou de loin la civilisation maya et sa présence en ces lieux m'intrigue. Les images holographiques de notre système solaire sont d'ailleurs là pour en témoigner !... résume pensivement Winter… Les Mayas n'avaient incontestablement pas à leur portée la technologie nécessaire à la démonstration à laquelle nous venons d'assister... souligne-t-il encore, visiblement tracassé.
   
     - Cette chose est peut-être atterrie ici par hasard et l'auteur de ce message ignorait certainement la véritable origine du crâne... hasarde Ballantine.
   
     - Venez voir !... le convie alors Winter en se dirigeant sans plus attendre vers le site, après avoir rallumé sa torche, l'obscurité commençant progressivement à envahir les lieux... Lorsque vous m'avez interpellé tout à l'heure, j'étais occupé avec ceci... confie-t-il encore en éclairant la stèle de tuf prismatique qui s'élance devant l'édifice à plus de sept mètres de hauteur sur deux de large, légèrement effritée et encore toute couronnée de broussailles et d'arbustes.Sur sa face est représenté le portrait stylisé d'un colosse, dont la taille frise les trois mètres. La silhouette générale est anguleuse et la tête carrée est surmontée d'antennes. Les jambes sont droites et rigides comme des échasses.
   
     Ballantine a haussé les sourcils ...
    
     - A quoi cela vous fait-il penser ?... demande alors à brûle pourpoint Winter, en se caressant pensivement le menton.
   
     Après quelques secondes de réflexion, tant la chose semble incroyable et se grattant l'oreille d'un air perplexe …
   
     - Vous allez certainement rire professeur, mais j'opterais pour ... disons ... un robot… risque Ballantine, d'une voix hésitante.
   
     - C'est justement ici que le bât blesse Dany … Je pense effectivement qu'il s'agit là de la représentation d'un robot. Mais ce n'est pas terminé. Suivez-moi !... Et il s'arrête aussitôt devant une seconde stèle aux dimensions plus modestes, sur laquelle est cette fois représenté un personnage habillé, dirait-on, en cosmonaute. 
   
     - Bon sang ! Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Où voulez-vous en venir professeur ?...  s'étonne Ballantine, visiblement intrigué, mais certainement impatient d'en apprendre davantage
   
     - Je dois vous avouer que j'ignore totalement où nous avons mis les pieds Dany. Ces ruines sont certes d'origine maya. Mais comme vous venez de le constater, certains de ces glyphes hors du temps sont autant d'indices, autant de témoignages, qui illustrent et tendent à démontrer à l'évidence qu'il y a eu également en ces lieux une présence ou tout au moins une manifestation autre que la civilisation maya. La mise à jour de ce crâne de cristal avec ce qu'il contient nous amène à la conclusion suivante : Nous venons indubitablement de découvrir les signes d'une ancienne présence pour le moins en avance sur son temps. J'irai même jusqu'à prétendre que tout cela porte à croire qu'un Futur Antérieur ait déjà existé quelque part sur cette planète !
 
 
 CHAPITRE II
 
 
     Le lendemain ... 8 h du matin ...
           
     Ballantine et Winter prennent leur petit déjeuner à l'abri des rayons d'un soleil brûlant déjà haut dans un ciel bleu azur. Leur conversation est essentiellement axée sur le déroulement des derniers événements et concernant bien entendu leurs étranges découvertes de la veille. Ils se sont attardés sur le message contenu dans le Crâne de Cristal.
   
     - Ce type aurait donc monté une seconde expédition depuis Mexico, uniquement dans le but de remettre le crâne à sa place sous l'autel du temple, afin de tenter d'échapper à la colère de ce prétendu golem !... souligne Ballantine, la mine perplexe.
   
     - Et ce terrible secret dont il est question ! Que veut-il dire par-là ?... rappelle Winter en avalant sa tasse de thé à petites gorgées.
    
     - Cet avertissement lui aurait été adressé par la Confrérie des Descendants de je ne sais plus quoi au juste. Mais je suppose qu'il a eu, comme nous, accès à l'image holographique de notre système solaire... imagine Ballantine en terminant son bacon.
   
     - Il est également question dans son message de Capsules du Temps ! Et si nous voulons en croire cette personne, le golem en serait le Gardien !... complète Winter, qui s’est redressé en se tamponnant les lèvres, son petit déjeuner étant achevé.
   
     - Nous ne sommes ici que depuis hier et nous avons, comme on dit en France, du pain sur la planche.. présume Ballantine en quittant la table à son tour.
 
    10 h 25 ...
 
     Ballantine et Winter dégagent de la végétation qui l'a envahie, une stèle sur laquelle sont représentées huit des neuf planètes de notre système solaire, situées exactement à la place qu'elles occupent effectivement par rapport au soleil.
   
     - Vous voyez Dany, l'énigme s'épaissit encore... observe le professeur en soufflant  légèrement sur la roche, afin d'éliminer la légère couche de poussière qui la recouvre...  Cette représentation de notre système stellaire est on ne peut plus fidèle, mais la question demeure la suivante : De qui les habitants de cette petite cité tenaient-ils ces connaissances astronomiques ?
   
     - Et ici ! Cette gravure représente un serpent comme sur l'hologramme ! Ces dessins sont sans aucun doute possible en rapport direct avec ce que nous a révélé le crâne de cristal... ajoute pensivement Ballantine.
   
     - Depuis l'antiquité, le serpent a toujours été le symbole de l'immortalité. Il est indéniablement lié à la représentation figurative d'apparitions cosmiques... remarque le professeur... De plus, chez les Mayas, le serpent était également le symbole de la maîtrise des airs.
   
     - Mais pourquoi diable est-il représenté ici seulement huit des neuf planètes du système solaire ?... observe judicieusement Ballantine.
    
     - Il faut croire que, bien que la figuration de la position de toutes les planètes soit curieusement et scrupuleusement respectée, les Mayas ou les habitants de cette mystérieuse cité ignoraient certainement l'existence de la neuvième ... Peut-être manque-t-il la dernière, Pluton... imagine naturellement Winter, en tirant nerveusement plusieurs bouffées d'affilée de sa courte pipe en écume, la tête entourée d'un nuage de fumée.
   
     - Justement non professeur, et c'est bien ce qui m'intrigue !... se presse de corriger Ballantine, visiblement incommodé par les miasmes tabagiques de son ami, lui faisant même comprendre la gêne ressentie et son incommodité à force de gestes appropriés à chasser le panache de fumée qu'il vient d'engendrer... Regardez !… Si l'on part du soleil, nous avons bien Mercure. Mais aussitôt, aux lieux et place de Vénus il y a, si je ne m'abuse, un espace inoccupé.  Car voici la Terre, puis Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et enfin la dernière ... Pluton.
   
     - Mais ... Pourquoi avoir omis d'y faire figurer Vénus ?...  s'étonne cette fois Winter, l'air dubitatif et se caressant machinalement le menton... D'autant plus qu'ils n'étaient pas sans connaître son existence ! Elle était pour le peuple maya l'objet d'un véritable culte. La plupart de leurs pyramides sont d'ailleurs dédiées à l'étoile du berger !  Je vous avoue que j'y perds mon latin.  
   
     - C'est ma foi fort curieux en effet.
    
     De nouvelles stèles et dessins découverts sur les murs du temple, représentent soit des personnages revêtus d'une combinaison de cosmonaute, on ne saurait s'y tromper, soit des engins volants. La plupart sont en forme de disques. Certains sont même équipés d'antennes.
   
     - C'est fantastique !... s'émeut encore Winter... Il n'y a plus aucun doute. Si ce sont bien des Mayas qui résidaient dans cette cité et si c'est bien eux qui sont les auteurs de tous ces témoignages, nous avons ici la preuve formelle qu'ils ont été, à un moment donné, en contact avec les représentants d'une civilisation plutôt en avance sur son temps.
   
     - Autrement dit, avec des êtres originaires d'un autre monde... anticipe Ballantine.
    
     - Ma foi, je ne sais que penser. Mais si nos suppositions s'avéraient exactes, et nous sommes assurément sur la bonne voie pour le prouver, la découverte de ce site sera incontestablement l'événement archéologique le plus extraordinaire de tous les temps... souligne le professeur, bouleversé, en épongeant la sueur qui lui dégouline sur le front.
   
     - J'ai la ferme conviction que si nous poussons plus loin nos investigations, nous ne sommes pas au bout de nos surprises... gage Ballantine avec un enthousiasme non dissimulé.
   
     - Regardez les gravures sur ce mur Dany. Elles représentent Quetzalcoatl le Serpent à plumes, que les Mayas appelaient aussi Kukulcan. C'est le plus grand dieu du panthéon maya et aztèque. Il incarne justement la personnification de la planète brillante. Il paraît s'agenouiller devant l'apparition d'une comète. Comme c'est étrange... s'émeut encore Winter.
   
     Deux reproductions de la voûte céleste gravées sur le plafond du temple leur offrent à présent une nouvelle et non moindre énigme ... Les points cardinaux sont placés correctement sur l'une, tandis qu'ils sont renversés sur l'autre, comme si la Terre avait subi un choc, comme si elle s'était retournée lors d'un cataclysme cosmique. Mais l'un des chicleros vient de pénétrer à son tour à l'intérieur de l'édifice. Il leur signifie que ses compagnons ont mis à jour quelque chose susceptible de les intéresser. 
   
     Les Mexicains ont déterré trois tablettes de pierre qu'ils sont en train de débarrasser sommairement de la mousse qui les recouvre. Le professeur exulte et trépigne sur place, tant il bouillonne d'impatience. Il a, comme d'habitude et en de telles circonstances, eu le réflexe de rajuster ses petites lunettes sur le bout de son nez, comme pour mieux distinguer les glyphes gravés dans la pierre.
   
     Après avoir déchiffré quelques lignes de la première tablette, il marque aussitôt une pause, en proie au plus vif désarroi…  
   
     - Inouï ! C'est tout à fait inouï !... Ces textes ont rapport au déluge ! Vous vous rendez compte !... rapporte-t-il d'une voix enthousiasmée et  brisée par l'émotion.
    
     - Si je ne m'abuse, ce légendaire désastre se serait produit il y aurait environ douze mille ans ... se remémore rapidement Ballantine.
    
     - En fait, nul ne sait exactement à quel moment de l'histoire de l'humanité s'est produit le cataclysme universel. Vouloir déterminer la date de la titanesque catastrophe qui détruisit la presque totalité du genre humain, est sans aucun doute une tentative bien téméraire... souligne le professeur en affichant une moue de perplexité... C'est extrêmement curieux... poursuit-il en revenant vivement sur les caractères hiéroglyphiques de la première tablette, devant les mines interrogatrices de Ballantine et des quatre métis qui se sont regroupés autour de sa personne... On peut en fait interpréter ce texte comme une prophétie. Tout d'abord, on nous décrit ici les circonstances du déluge. Mais il est affirmé en outre et je traduis, qu'après la naissance du sixième soleil, peut-être est-il question d'une succession d'éclipses … Donc, après la naissance du sixième soleil disais-je, ces écrits précisent que les Maîtres des Etoiles ou Messagers du Destin doivent revenir. Si on se fie à ce calendrier, ce serait, tenez-vous bien, avant la fin de ce millénaire. Soit la période inaugurée par l'éclipse de 1999. En septembre de l'année où nous sommes, plus exactement. Il est également dit qu' au cours de l'ère du sixième soleil, tout ce qui est enfoui sera découvert. La vérité sera la semence de la lumière. Et les fils du sixième soleil voyageront à travers les étoiles.
   
     - Si c'est une prophétie, elle nous annonce clairement la venue prochaine d'extraterrestres sur la Terre... sourit Ballantine, manifestement peu enclin à suivre son ami sur ce terrain.
    
     Winter s'est approché de la seconde tablette. Prenant assise sur ses talons, la tête entre les mains, il ne cesse de lire et relire l'inscription millénaire qui y est gravée...
   
     - Ce texte a encore rapport au déluge… enchaîne-t-il au terme de quelques secondes… Il est dit que  le ciel se rapprocha de la Terre et que tout périt en un seul jour. Même les montagnes disparurent sous les eaux. Ces écrits décrivent la disparition du monde d'une façon imagée. Regardez Dany, ce que vous voyez ici représente encore un serpent installé dans les cieux et déversant de sa bouche des torrents d'eau. Quant à ces différents signes, ils indiquent des éclipses de la Lune et du Soleil. Cette gravure figure la déesse de la Lune, maîtresse de la mort. Comme vous pouvez le constater, elle est représentée ici sous un aspect terrifiant. Elle tient entre les mains une coupe renversée de laquelle coulent des flots destructeurs.
   
     Nom d'une pipe ! Ce qui est décrit ici, dans la troisième tablette, est tout simplement effarant !... s'exclame le professeur, subitement en proie à la plus vive stupeur... Les deux premières tablettes reprennent en fait certains détails du Livre Sacré des Mayas du Guatemala, le Popol Vuh. Ce qui me surprend, c'est que jusqu'ici les origines du déluge n'ont jamais vraiment pu être expliquées et encore moins élucidées. La science ne connaît toujours pas de causes qui auraient pu engendrer une secousse telle, que l'axe terrestre en aurait été à ce point ébranlé. Mais si ces écrits s'avéraient exacts, ce qui est dit ici nous fournirait la réponse à cette énigme. C'est tellement incroyable !... poursuit Winter en se tamponnant nerveusement le visage à l'aide de son mouchoir.
   
     - Remettez-vous professeur !... sourit Ballantine d'une voix amusée, en lui donnant une tape amicale sur l'épaule.
    
     Semblant ignorer la remarque et évitant de faire mentir plus que de raison son enthousiasme, l'intéressé n'en poursuit pas moins ses commentaires d'une voix chevrotante…
    
     - C'est bien la première fois qu'un texte maya donne de telles précisions sur les causes du cataclysme universel ! Il est encore dit ici que cette catastrophe n'aurait pas concerné que notre planète … Ce fut un bouleversement cosmique aboutissant à un réalignement des astres de notre système solaire. Les planètes modifièrent leur trajectoire. La grande harmonie de l'univers et de la nature en fut ébranlée. Voilà, tout est expliqué ! Le déluge aurait eu pour origine l'attraction exercée par un astre encore inconnu et pénétrant dans notre système solaire ... Sa force cosmique aurait déclenché un immense raz de marée. Les eaux du globe se seraient alors soulevées, pour ensuite refluer avec l'éloignement de ladite planète en question, déposant ici et là les restes de faune et de flore dont on a d'ailleurs découvert des traces inexplicables dans différentes régions du monde... se presse de préciser Winter. (véridique).
   
     - En fait, cela semble tout à fait plausible professeur. La seule force capable de provoquer des bouleversements de cette ampleur pourrait effectivement avoir été celle produite par un corps céleste de grande taille passant à proximité de la Terre... relève Ballantine d'un air songeur.
    
     - Tout à fait Dany. D'ailleurs, bien que l'on n'ait pas encore élucidé la question, il a toutefois été envisagé qu'une collision avec un immense météore aurait pu provoquer le cataclysme atlantéen, certainement lié au désastre universel. Nous savons que l'attraction lunaire, par exemple, est à l'origine du phénomène des marées. Comme vous le faites si judicieusement remarquer, l'arrivée de cet astre dans le système solaire aurait pu provoquer un déséquilibre de la planète. En déplaçant de quelques degrés son axe de rotation tout en exerçant une énorme pression sur l'écorce terrestre, l’incident aurait entraîner les inondations et déluges que l'on retrouve dans les légendes de tous les peuples à la surface du globe. Mais ce qui est stupéfiant, c'est que, d'après les écrits mayas, cet astre ne serait autre que ... tenez-vous bien ... la planète Vénus !
   
     - Vénus !... Ce serait assurément extraordinaire professeur ! Mais celle que l'on connaît plus communément sous l'appellation d'étoile du berger étant donné son éclat nocturne, a toujours fait partie de notre système solaire ! Aucun doute n'a jamais été émis à ce sujet que je sache !... stipule Ballantine, la mine perplexe.
   
     - C'est en tout cas ce qui est prétendu ici. Vénus serait en fait originaire d'une autre galaxie que notre Voie Lactée. Elle serait entrée dans notre ciel avec l'apparence et les effets maléfiques d'une comète. Elle aurait provoqué l'embrasement du globe et le déluge universel, avant de s'installer définitivement sur l’orbite que nous lui connaissons. Après voir frôlé la Terre, elle aurait anéanti la presque totalité de l'humanité.
   
     - Si le fait s'avérait exact, ce serait alors la raison pour laquelle il n'était représenté que huit des planètes du système solaire sur le monument que nous avons découvert. Vénus aurait été volontairement omise... réalise Ballantine, la mine réfléchie. 
   
     - Et la comète devant l'arrivée de laquelle est prosterné Quetzalcoatl, serait donc l'Etoile du Berger ! Cette planète a toujours fait l'objet d'un véritable culte dans la civilisation maya. C'est elle qui régissait leur religion. D'ailleurs, comme je vous le disais, la plupart des pyramides mayas lui sont dédiées. On ignorait jusqu'ici quelles en étaient les raisons. Les Mexicains en ont même conservé la tradition. On a en effet constaté de nos jours, que de nombreux édifices comme le palais du Gouverneur à Uxmal au Mexique, étaient alignés et disposés en fonction du lever et du coucher de l'étoile du berger. Toujours est-il que vous pouvez être assuré que notre découverte va certainement ébranler et déranger le monde bien ordonné de nos astrophysiciens et soulever bon nombre de controverses... confie le professeur, on ne peut plus enthousiasmé.
   
     - Je reviens sur ce qui est écrit sur la première tablette, où il est question du retour des Maîtres des Etoiles. Est-ce que cette prophétie signifie quelque chose pour vous professeur ?... s'enquiert Ballantine, songeur.
   
     - Eh bien voyez-vous Dany, incidemment, la tradition populaire maya parle d'une promesse faite par " les Fils du Ciel " de revenir dans douze mille ans. Soit, comme le précise en effet ces écrits, à notre époque. Et plus précisément d'ici peu s'il faut en croire ce qui est dit ici et si nous devons nous fier à la légende. Ces Fils du Ciel seraient leurs ancêtres de l'Atlantide, dont la civilisation n'avait, toujours d'après la légende, rien à envier à la nôtre. Bien au contraire.
   
     - En tout cas, le type qui a laissé ce message a tout de même eu une part de chance non négligeable !... Il prétend être parti à la quête du continent perdu de l'Atlantide, et découvre comme nous, par hasard, cette ancienne cité maya dont vous me dites professeur que les ancêtres pourraient  justement être les Atlantes !
   
     -  C'est ma foi exact. Mais ce qui relève du domaine du fantastique, voire de l'incroyable dans cette histoire, c'est le fait que la population d'un site maya semble avoir fait l'objet d'un contact avec une civilisation avancée. J'en suis à présent pratiquement convaincu Dany. Les habitants de ces  lieux ont reçu la visite de cosmonautes venus d'une autre planète. Ou ils ont été directement en contact avec des Atlantes. Mais cette hypothèse relève bien évidemment du domaine de l’impossible... murmure-t-il encore, comme pour lui-même.
   
     - Toujours est-il que la découverte que nous avons faite sur l'hypothétique arrivée de Vénus dans notre système solaire, ne concerne en rien le terrible secret dont ce type parle dans son message. Mais peut-être allons-nous finir par découvrir quelque chose en rapport avec ce que prétend ce curieux personnage ... imagine Ballantine en se passant machinalement une main ouverte dans les cheveux.
 
 
 *          *
 
 
     La fin de la journée approche. Le soleil commence à fléchir sur l'horizon. Bien que depuis quelques heures l'atmosphère se fasse lourde et orageuse, il ne pleut toujours pas. L'air est de plus en plus chaud, figé, comme si la nature était en suspens. Ballantine et Winter ont encore découvert de nouvelles preuves renforçant leurs convictions, quant à la visite d'hypothétiques visiteurs de l'espace faite aux habitants de cette mystérieuse cité en des temps très reculés. Ils n’ont cependant pu déceler la moindre analogie avec la mise en garde du parchemin adressée par l'énigmatique personnage à l'intérieur du crâne de cristal, ayant trait au terrible secret auquel il est fait allusion. 
   
     Mais leur attention est brusquement attirée par les Mexicains … Ces derniers viennent de dégager une dalle triangulaire enfouie sous l'humus au centre du temple, dont l'atmosphère ambiant s'avère humide et mal aéré, la lumière n'y pénétrant que par d'étroites lucarnes. Ballantine, avec l'aide de l'un des forestiers, décide aussitôt de faire éclater un petit espace rempli de chaux et de cailloux à l'aide d'une barre à mines. 
   
     Poussé par la curiosité et sous l'œil attentif et combien impatient du professeur qu'une sorte d'excitation sourde pince le cœur, Ballantine s'est agenouillé sans plus attendre, pour coller un œil contre l'ouverture en éclairant partiellement les lieux avec sa lampe-torche. Il en reste aussitôt muet durant quelques secondes … Winter, qui ne peut contrôler son état d'énervement, le presse de questions, réprimant même difficilement quelques mouvements d'impatience.
   
     Ballantine vient de se redresser. Il lui décrit alors une grande salle voûtée aux murs décorés de reliefs en stuc, au centre de laquelle trône un énorme bloc sculpté qui la remplit presque entièrement.
   
     Sans plus attendre, ils ont déplacé la lourde dalle condamnant la crypte.  
   
     Une vingtaine de marches aux degrés usés et patinés par le temps y descendent.
    
     Ballantine, suivi du professeur, emprunte aussitôt l'escalier de pierre qui s'enfonce à une douzaine de mètres sous le temple, où règne l'obscurité la plus totale. Leurs torches électriques, dont la lumière a fait fuir précipitamment un iguane, accrochent aussitôt le grand bloc,dont les côtés sont sculptés d'une douzaine d'étranges personnages. Il repose sur huit supports, ornés eux aussi d'étonnantes sculptures. 
   
     A leur plus vive stupéfaction, l'œuvre décorée en bas-relief représente une grande composition du cosmos. On y voit distinctement un être humain assis aux commandes d'un véhicule spatial, la partie supérieure du corps penchée en avant, comme celle d'un coureur motocycliste. En arrière de la proue pointue de l'engin qui est représenté, de curieuses entailles cannelées figurent des lumières d'admission. Puis le tout s'élargit et sa queue se prolonge par un jet de flammes.
   
     N'importe quel enfant d'aujourd'hui comparerait sans aucun doute possible l'engin dans lequel il est installé à une fusée. L'être représenté à l'intérieur de l'habitacle est vêtu de pantalons moulants tenus par une large ceinture, d'un blouson dont l'encolure dégage la nuque, très ajusté sur les bras et les jambes. Il porte un casque muni d'un tube et sur le sommet figure quelque chose ressemblant à une antenne. L'astronaute - car c'en est manifestement un - est non seulement penché vers l'avant, mais il regarde avec attention un objet suspendu devant son visage. Ses mains paraissent occupées à manipuler des commandes, la droite semblant procéder à un réglage précis, la gauche tenant un levier. Le talon gauche repose sur une sorte de pédale à plusieurs crans, comme une commande au pied. Derrière le pilote, on reconnaît sans difficulté le réacteur nucléaire. Deux atomes sont même représentés schématiquement sans aucun risque d'erreur, probablement un atome d'hydrogène et un atome d'hélium. Chose importante, la traînée du réacteur est  représentée à la queue du vaisseau, brisant la ceinture de glyphes qui court autour du bas-relief chargé de caractères cette fois indéchiffrables par le professeur, qui s’est contenté de prendre une série de clichés à l'appui de quelques notes. Les Mayas paraissent avoir laissé ici le portrait de leurs "messagers du ciel". Ce relief dans la pierre est bourré d'indications techniques incompréhensibles et le professeur vient de se pencher sur des glyphes courant sur la pierre.
   
     - Les dieux mayas, si l'on en croit ce texte, vinrent des étoiles, communiquèrent avec les étoiles et retournèrent aux étoiles après avoir séjourné sur Terre... rapporte-t-il avec une moue circonspecte. 
   
     Une monumentale arcade en pierre soutenue par deux colonnes serpentiformes, la gueule au niveau du sol, le corps constituant le fût et la queue soutenant le linteau, s'ouvre sur une seconde salle. Elle présente des innovations architecturales tournant presque toutes autour du thème du Serpent à Plumes. Au fond s'élève une pyramide à cinq ou six mètres du sol. Chacune de ses faces représente des corps de serpents, dont les têtes humaines reposent au pied de l'édifice.
   
     Des sculptures, disséminées aux quatre coins, figurent toutes des créatures serpentiformes, soit à têtes bestiales, soit à têtes humaines, représentées dans différentes positions. Un reptile encore plus énorme que les autres trône dans une attitude hiératique. A ses côtés, des personnages à têtes de serpents, vêtus d'un vêtement pour le moins futuriste, l'entourent et semblent l'acclamer. Certains sont des sauriens complets, d'autres, moitié humain, moitié reptile. Les gravures murales sont remplies d'annotations mystérieuses.
   
     - Qu'est-ce que tout cela veut dire ?… s'émeut le professeur d'une voix rendue rauque par l'émotion, visiblement déconcerté.... Regardez Dany. Toutes ces sculptures et ces bas-reliefs sont dédiés à la gloire, dirait-on, d'un roi ou d'un dieu serpent !
   
     Miguel, l'un des deux métis qui les ont rejoints, vient de pousser un cri, assorti d'une grimace de dégoût, tandis qu’il décroche vivement de sa chemisette une espèce de lézard à six pattes qui s'y cramponnait. Mais leur attention est de nouveau accaparée par une sculpture représentant des humains casqués, encore revêtus d'un habillement futuriste. Ils brandissent des armes à rayons, semblant terrasser des hommes-lézards aux allures belliqueuses. Des motifs ciselés figurent d'autres personnages humains engoncés dans des espèces de scaphandres, aux côtés d'êtres indéfinissables qui manipulent de singuliers appareils. L'autre pan de mur fourmille littéralement de personnages aux masques grotesques, figés en des attitudes invraisemblables et occupés à des tâches énigmatiques.
   
     A quelles interprétations cette étrange iconographie peut-elle donner lieu ? Quelles controverses peut-elle bien susciter ? Là encore, elle est enrichie d'innombrables indications chiffrées, plus mystérieuses et plus énigmatiques les unes que les autres. Un peu en retrait, une stèle en pierre figure un autre groupe d'humains, curieusement blottis les uns contre les autres. Leurs yeux exorbités reflétent véritablement un sentiment de panique. Ils semblent craindre une bande de lézards disposés en cordon, qui paraissent les garder ou tout au moins les surveiller et qui contemplent, manifestement avec une certaine contrainte, ces scènes hallucinantes. 
   
     Winter, le cœur battant, sujet à une exaltation sans précédent, paraît de plus en plus intrigué. A l'aide de sa torche, il examine avec la plus grande attention ces sculptures d'une finesse exagérée ciselées dans la pierre, qui ont assurément donné lieu à un travail de patience, long et minutieux, patiné par les siècles. 
   
     Soudainement, devant eux, sur un socle, se dresse une silhouette d'une taille impressionnante, dépassant les trois mètres, à corps humain recouvert d'écailles et à tête serpentoïde couronnée. Son regard est glacial et dominateur. Elle tient un sceptre décoré du globe terrestre et le chiffre huit en position horizontale dans ses mains palmées. La créature pose l'un de ses pieds membraneux sur la tête d'un personnage aux traits humains revêtu d'une combinaison de cosmonaute, qui paraît se prosterner devant elle.
   
     - Encore ce roi serpent !... murmure Winter, en ravalant sa salive à plusieurs reprises.
    
     - Mais ... Ce truc est en métal !... s'étonne Ballantine en l'effleurant du bout des doigts. 
    
     - Vous avez ma foi raison. C'est bien du métal !... constate à son tour Winter, stupéfait, en caressant à son tour le magnifique ouvrage, dont la froideur de l'alliage le fait un instant frissonner... Cette chose doit pourtant se trouver à cet endroit depuis des millénaires ! ... Comment cette substance métallique a-t-elle pu résister aussi longtemps ! C'est incroyable ! Elle est dans un état de conservation stupéfiant et ne porte aucune marque de corrosion !
   
     - Je crois que rien en ces lieux ne sort de l'ordinaire professeur ... Cette effigie a été fondue dans un métal obtenu à partir d'un alliage certainement inconnu sur la planète. Il ne peut en être autrement. Un métal bien particulier d'ailleurs. Car voyez … Les écailles du corps de cette chose paraissent curieusement chargées d'un certain magnétisme frémissant au toucher.
   
     - Ce qui m'intrigue, c'est le fait que nous retrouvions partout ce roi serpent ! Sa tête est couronnée et ce qu'il  tient est à n'en pas douter un sceptre sur lequel figure ... hum ... voyons ... oui, c'est la Terre. Ce qu'il a dans l'autre main, rappelant le chiffre huit, représente certainement le symbole de l'infini. Comme c'est étrange. L'artiste qui est à la base de cette réalisation a certainement voulu fixer définitivement un événement important... gage Winter d'une voix chevrotante... Mais que voulait-il donc signifier ?
   
     - A moins que ce ne soit une mise en garde adressée à l'humanité !... nuance Ballantine sur un ton rempli de perplexité, en se passant une main ouverte dans sa courte chevelure. 
    
     - Que voulez-vous insinuer ?... suspecte aussitôt Winter, les sourcils en accents circonflexes, plutôt déconcerté par cette  supposition aussi imprévisible qu'inquiétante.
   
     - Je l’ignore encore professeur... s’interroge notre ami, l'air songeur, tout en caressant du bout des doigts le corps monstrueux qui donne l'impression de vouloir quitter son socle d'un instant à l'autre pour bondir sur les intrus... Néanmoins, je me demande si toutes ces sculptures sont bien dédiées à la gloire du Serpent comme vous le supposez. Ou si ... hésite-t-il, la moue réfléchie…
   
     - Allez-y ! Précisez ce à quoi vous pensez !
    
     - Eh bien, voyez-vous même professeur … Cette scène, par exemple, est on ne peut plus significative … Elle représente des humains gardés par des créatures reptiliennes. Leur attitude me paraît loin d'être équivoque. C'est clair. Ce tableau reflète l'épouvante de ces gens vis à vis de ces créatures du diable. Quant à ce roi serpent, il est évident qu'il semble imposer son autorité et sa volonté à un personnage de nature humaine, curieusement revêtu d'une combinaison de cosmonaute. On ne saurait s'y tromper, ce dernier paraît se prosterner ou, selon moi, être asservi par cette horrible créature.
   
     Bien que le raisonnement de son ami ait quelque chose d'hallucinant, Winter semble tout à coup admettre l'atroce mais incroyable réalité de la scène qu'ils ont sous les yeux.
   
     - Vous avez peut-être raison, mais où voulez-vous en venir ?... insiste-t-il d'une voix éraillée, visiblement troublé, voire carrément inquiet, appréhendant assurément la justification des derniers propos de son ami.
   
     - Je me demande, à tort ou à raison bien évidemment, si les humains qui sont représentés ici ne seraient pas tout simplement des vaincus subissant la loi du vainqueur... résume Ballantine en se tournant vers son ami, qui a frissonné une nouvelle fois, avant de détourner son regard de la statue de métal.
   
     - Pour quelles raisons donner une telle importance à des reptiles !... banalise alors ce dernier d'un geste de la main, cherchant assurément à minimiser la chose.
   
     - Je crois que nous avons une fois encore affaire à un nouveau mystère professeur. Un mystère qui ne me dit rien qui vaille...  conclut Ballantine, sourcils froncés.
 
 
 CHAPITRE III
 
        
      L'heure se faisant tardive, ils ont une nouvelle fois regagné l'abri de leur campement, sous le regard curieux d'un écureuil pourpre qui s'est vivement agrippé à la fourche d'un arbre avant de disparaître dans le feuillage. La pluie tropicale s'est brusquement mise à tomber, pour se transformer aussitôt en un véritable déluge.
     
     Il est un peu plus de 20 h 15. Les deux amis se sont retirés sous leur tente, tandis que Diego s’affaire à la préparation d’un repas froid sous le refuge de servitude, ses compères disputant une partie de cartes animée et criarde sous l'auvent protecteur. Le martèlement de la pluie sur les feuilles produit un bruit monotone, ne dérangeant pas pour autant nos deux lascars occupés à faire le point sur leurs dernières découvertes.
    
     Ballantine vient de passer timidement le bout du nez par l'échancrure de leur guitoune. Il constate avec satisfaction que le ciel est redevenu clair et limpide. L'averse a cessé, sans toutefois rafraîchir l'atmosphère pourtant déjà chargée et étouffante, mais la rendant plus lourde encore. Il se décide à faire quelques pas à l'extérieur, rejoint presque aussitôt par le professeur qui étouffe un bâillement en enfonçant la flamme craquante d'une allumette dans le fourneau de la courte pipe en écume qu'il vient de préparer.
    
     La pluie tiède a fait exhaler à la terre des parfums poivrés et les Mexicains se sont réunis autour du feu de camp qu'ils ont allumé, afin d'éloigner d'éventuels carnassiers. Ils poursuivent leur partie de cartes, sans plus se préoccuper de leurs employeurs temporaires.      
   
     Tandis que ces derniers se tiennent à quelques pas du campement et avant qu'ils n'aient eu la possibilité d'échanger de nouvelles paroles, Ballantine a sursauté ... Winter qui toussotait et se raclait vainement la gorge à plusieurs reprises, asphyxié par la fumée de son brûle-gueule, tressaille à son tour, crachotant nerveusement.
   
     - Vous avez entendu ?... marmonne-t-il le regard figé. 
    
     - Chut professeur !... souffle Ballantine en tendant l'oreille, avec un geste évasif de la main assorti d'un imperceptible froncement de sourcils.
    
     Un silence presque tangible s'installe un instant entre les deux hommes, aussitôt perturbé par les rires bruyants des Mexicains, toujours occupés à disputer leur partie de cartes endiablée.
   
     - Il m'a semblé entendre quelque chose... insiste néanmoins Winter, dans un murmure quasi inaudible.
    
     Sur un nouveau signe de son ami qui s'éloigne silencieusement du camp en direction de la forêt toute proche, ce dernier a cette fois cessé tout commentaire.  
   
     Ballantine vient de marquer un temps d’arrêt à la lisière de la jungle, une flamme d'inquiétude dans le regard, tandis que Winter s'approche timidement à son tour. 
   
     Le silence leur paraît soudain plus lourd, plus oppressant... 
    
     - Mais que !
    
     - Chut professeur... l'interrompt une nouvelle fois Ballantine, en lui retournant un regard sévère.
    
     Un léger bruissement de feuillage, presque imperceptible, n'a cependant pas échappé à l'ouïe fine de celui-ci. 
   
     - Nous ne sommes pas seuls... glisse-t-il au creux de l'oreille de son ami.
   
     Ce disant, il lui pose doucement la main sur l'épaule en exerçant une légère pression. Bien que la végétation dense ne laisse filtrer que peu de lumière, il lui désigne, d'un mouvement du menton, l'objet de sa prévenance, la chose qui vient d'arrêter son regard ... 
   
     Une profonde lueur verdâtre se faufile furtivement entre les arbres, une forme imprécise et ahurissante. Elle a traversé leur champ de vision en un éclair, avant de se fondre dans la nuit.
   
     Winter semble transformé en une véritable statue de marbre, figé, paralysé, la main gauche sur le fût de son brûle-gueule, dans une position qui prêterait à sourire en d'autres circonstances. Tous les sens en alerte, Ballantine a l'œil rivé vers l'endroit où s'est dirigée l'étrange apparition, guettant à présent le moindre signe de danger.
   
     La sensation d'une mystérieuse présence se fait de plus en plus sentir. Ils éprouvent en même temps la désagréable impression d'être observés par cette présence indécelable, mais néanmoins bien réelle. L'air semble tout à coup terriblement pesant et comme un fait exprès, des insectes agaçants voltigent en bourdonnant à leurs oreilles, contrariant leur concentration.
   
     Ils ont de nouveau sursauté ...
    
     Un grondement bizarre vient de retentir à quelques pas seulement de l'endroit où ils se trouvent, leur donnant à chacun le sentiment qu'un fauve se tient à l'affût, tapi près du campement. 
   
     Un pli de contrariété a barré le front dégarni du professeur et Ballantine a senti une angoisse étrange étreindre son cœur comme un étau.
    
     Nul ne pouvait soupçonner le drame qui guettait les explorateurs de cette ténébreuse aventure, isolés au sein de cette terre mystérieuse des Mayas-Quichés. Ils étaient certainement loin d'imaginer qu'ils allaient faire la plus extraordinaire, la plus fabuleuse des découvertes, celle qui allait changer le cours de leur existence.
 
 
*          *
 
 
     Le danger, ils en sont subitement conscients, est incontestablement présent. Aussi Winter n’a-t-il pas tardé à réagir … Il s’est  prudemment reculé en invitant son ami à l'imiter d'un signe de la main. 
    
     - Restons près des autres. Il y a des fauves qui rôdent aux alentours... halète-t-il.
    
     Pour toute réponse, Ballantine a amorcé un geste de contrariété. Il n'obtempère pas pour autant. Il s'est néanmoins emparé d'une solide branche qu'il brandit comme une massue et signifie à son ami de refluer vers le campement comme celui-ci en avait l'intention. Puis, d’un pas feutré, il se dirige résolument vers les premiers fourrés ... 
   
     Il en est à moins de quelques mètres, lorsqu'un souffle rauque lui fait cesser tout mouvement. Le cœur battant, il s’est retourné vers le professeur, qui ne s'était guère éloigné que de quelques mètres. Ce dernier a aussitôt remarqué son hésitation ainsi que son brusque changement d’attitude. Une angoise insurmontable semble l’assaillir à son tour. Mais ils viennent de sursauter … Un rugissement sourd se propage soudainement dans la jungle, répété et roulé par l'écho, dont l'origine semble toute proche.
   
     Quelque chose est bien là ...  Quelque chose de monstrueux, tapi dans l’invisible ... Et qui attend ...  
   
     Un réflexe approprié, ou plutôt l'instinct de conservation, pousse rapidement Ballantine à prendre l'unique décision qui puisse s'imposer dans ce genre de situation : La fuite. Aussi met-il aussitôt un terme à sa curiosité en tournant rapidement les talons, pour rallier rapidement son ami, qu'un long frisson parcourt déjà de la tête aux pieds.
   
     Les Mexicains ont eux aussi perçu le cri rauque. Ils ont promptement interrompu leur partie de cartes et deux d'entre eux se sont déjà emparés de leurs machettes. Tous se portent aussitôt au devant des deux imprudents, qui ne tardent d'ailleurs pas à les rejoindre.
   
     Winter, le teint livide, a bredouillé quelque chose, qui très probablement équivalait à une tentative de remerciement.
   
     - Nous l'avons ... échappé ... belle ... ajoute-t-il d'une voix haletante et saccadée, plus émotionné qu'essoufflé par cette brusque épreuve forcée et inattendue.    
   
     - Une bande de pumas ou de jaguars doit être à l'affût quelque part aux alentours du campement... hasarde Ballantine, en se passant nerveusement une main ouverte dans les cheveux.
   
     - No Sénor, no, ça pas être cri pouma ! Pas être cri jaguar no plus Sénor. Ca pas être bon dou tout... souffle Miguel, l'un des Mexicains, en se signant à plusieurs reprises, l'œil dilaté par une frayeur naissante. 
   
     - Mais qui veux-tu que ce soit ? Le diable en personne peut-être !… raille Ballantine avec un rire sans joie ; un de ceux qui sonnent faux, tout en haussant les épaules. 
   
     La boutade paraît laisser le dénommé Miguel impassible, car il se presse de répéter inlassablement et avec une certaine insistance les mêmes mots ... Ca pas bon, pas bon dou tout ! ... Malo ! Malo ! (mauvais)
    
     Winter et Ballantine ont échangé des regards désabusés et tous se sont mis sous la protection du feu de camp qui crépite dans l'obscurité naissante et que l'un des Mexicains s’est pressé de recharger en jetant à plusieurs reprises des branches mortes au centre du foyer. C'est à cet instant précis que Ballantine ressentit une impression étrange, indéfinissable, mais parfaitement insupportable. Tous semblant partager la même angoisse. 
   
     - Ne nous inquiétons pas outre mesure Dany. Les Guatémaltèques ont toujours considéré le Peten comme un territoire mystérieux, légendaire et même vaguement terrifiant. D'ici demain, nos compagnons auront retrouvé le moral... tente d'argumenterWinter sur un ton se voulant rassurant, devant l'expression contrariée de son ami.
   
     Ce dernier semble néanmoins faire fi de la remarque adressée par le professeur. Il est allé prendre ses jumelles et inspecte à présent minutieusement les abords de la jungle. Il est conscient qu'un mystérieux danger les guette, tapi là-bas, quelque part aux alentours, attendant le moment propice pour se manifester et les surprendre. Mais l'obscurité qui envahit peu à peu la jungle, met rapidement un terme à son observation. 
   
     Le repas du soir s'est toutefois déroulé dans une ambiance détendue, les chicleros ayant noyé leur angoisse à l'aide d'une bouteille de tequila, bien que l'incident n'ait pas pour autant permis de tranquilliser Winter et Ballantine. Ce dernier a pris la décision de veiller sur le campement jusqu'aux premières lueurs de l'aube, ne pouvant se fier ou même compter sur le concours des Mexicains. La moitié d’entre eux, victime des traîtrises de Bacchus (*), sont d'ailleurs déjà partie faire un tour du côté des vignes du Seigneur, leurs ronflements raisonnant à travers la forêt en faisant foi. Le professeur a bien insisté pour lui tenir compagnie, mais le déroulement des derniers événements a passablement diminué ses facultés, tout en portant atteinte à ce qui lui reste de vitalité.
   
     Il règne toujours une atmosphère d'étuve malsaine. Ballantine ne se sent pas à l’aise. Il veille sur le sommeil de ses compagnons d’un œil inquiet, assis à même le sol près du feu de camp, qu'il recharge avant que le besoin ne s'en fasse sentir. Sa carabine "22 long rifle" automatique est installée sur ses genoux, au cas où, et les pinceaux de sa torche électrique fouillent de temps à autre les alentours avec insistance. Mais la mystérieuse présence, objet de leur inquiétude, paraît ne plus vouloir se manifester. Seul le crépitement du bois livré aux flammes résonne dans la nuit.
   
     Vers  les quatre heures du matin, Juan, quelque peu remis de sa "cuite" mais ne paraissant toutefois plus se trouver sous l'emprise des vapeurs d'alcool, s'est proposé pour le remplacer. Bon gré, mal gré, notre ami qui luttait déjà depuis un long moment pour ne pas s'assoupir, a tout de même consenti à rejoindre Winter qui dort du sommeil du juste sous la tente.
 
(* Bacchus : dieu grec de la vigne, du vin et du délire extatique)
 
   
                                                        
CHAPITRE  IV
 
   
   
     Ce sont les cris tonitruants d'une bande de perruches aux multiples couleurs, qui ont éveillé Ballantine. Il s'étire aussitôt comme une chatte, les yeux encore gonflés de sommeil. Sans quitter sa couche, il secoue le professeur qui râle un court instant, avant de se décider à entrouvrir timidement une paupière.
   
     Sitôt sur pied, il écarte la moustiquaire et tend le bras vers la malle métallique qui lui sert de table de chevet, pour consulter rapidement sa montre qui lui indique qu'il est déjà huit heures un quart.  Sa réaction est alors instantanée ... 
   
     Il s’est détendu comme un ressort pour bondir à l'extérieur, où le Tropique lui souffle brutalement au visage son haleine brûlante. Tout en se grattant le cuir chevelu et en étouffant un dernier bâillement, il constate avec surprise la présence d'un tapir au milieu du camp, ce monstre doté d'une trompe, mi-sanglier, mi-éléphant, que les Indiens du Guatemala chassent avec une sarbacane. Le timide mammifère, qui paraît trouver à son goût l'herbe tendre de la clairière, n'accorde même pas un regard au bipède surgi de sa maison de toile. Il continue de brouter en toute impassibilité, complètement indifférent à la présence de cet intrus, qu'il considère assurément sans aucun intérêt particulier.
   
     Ballantine lui rend toutefois son désintéressement en détournant rapidement leregard, constatant avec contrariété que Juan n'est pas à son poste ! Pourquoi ne les a-t-il pas réveillés ? Il sait pourtant bien qu'ils ne sont pas ici pour faire la grâce matinée ! Que le moment n'est pas à paresser au lit ! Puis, les curieux événements impondérables qui se sont produits la veille l'assaillent aussitôt … Son regard s’est porté en direction du mur vert de la forêt, à l’instant où Winter fait à son tour son apparition. Bâillant comme une carpe, quitte à s'en décrocher la mâchoire, ce dernier semble néanmoins surpris de ne pas humer, comme d’habitude, l'agréable parfum de son breuvage matinal préféré, le thé.
   
     Avec un froncement de sourcils, Ballantine s’est emparé rapidement de ses vêtements, cherchant vainement des yeux la présence de Juan. Il fait aussitôt part de son inquiétude au professeur. Ce sentiment est à son comble et fait même place à de l'appréhension, lorsqu'il découvre la carabine abandonnée près de l'endroit où crépitait la veille au soir le feu de camp, visiblement éteint depuis longtemps par défaut de combustibles, à en juger par l'amoncellement  de cendres froides en un résidu grisâtre déjà solidifié.
   
     - Cet animal a un de ces toupets !... sourit Winter en apercevant le tapir qui, cette fois, a pris la fuite en direction de la forêt, galopant aveuglément droit devant lui, provoquant à son tour l'envol précipité d'un quetzal, cet oiseau d'une rare beauté, emblème du Guatemala.
   
     Ballantine, préoccupé par l'absence inexplicable du métis, s’est dirigé vers le refuge de ses congénères, à l’instant où ces derniers quittaient précipitamment leur gîte après avoir enfilé leurs vêtements à la hâte. Confus, se frottant les paupières, l'air penaud après avoir constaté que l'astre solaire était déjà haut dans le ciel, ils étouffent timidement un dernier bâillement en passant à plusieurs reprises leurs doigts bagués dans leurs tignasses dépeignées. Mais Ballantine et Winter ont échangé des regards chargés de contrariété, constatant avec ennui que Juan ne figurait pas parmi eux.
   
     - L'un d'entre vous sait-il où est Juan ?... questionne aussitôt Ballantine, les poings sur les hanches, planté devant les trois lascars, d'une voix marquée par une légitime appréhension.
   
     Les trois compères semblent avoir reçu le ciel sur la tête. Ils sortent sans aucun doute d'un sommeil lourd et ont visiblement la gueule de bois. L'un d'eux hésite un court instant, promène un regard ahuri autour de lui, rejette en arrière la mèche qui lui barre le front …
   
     - Juan  ? ... Qué Juan ? ...  Ah Juan !… bredouille-t-il d’une voix pâteuse, quasi inintelligible, les yeux hagards. Puis, le regard errant une nouvelle fois au hasard, il dévisage ses acolytes qui, avec un mouvement d’ensemble des plus significatifs, se sont contentés de hausser les épaules. L'un d'eux esquissant même une moue évasive. 
   
     Ballantine a ébauché un geste trahissant son impatience, croisant les bras en prenant un air déterminé.
   
     - Alors quoi ! Sacré bon sang, ne me dites pas qu'aucun d'entre vous ne sait où est passé Juan !... s'écrie-t-il cette fois d'une voix sévère et contrariée, une flamme d'inquiétude de plus en plus vive brillant dans ses prunelles.
   
     Devant l'air hébété des trois comparses, il a haussé les épaules, dépité, préférant ne pas insister avant de se rendre à l'angoissante réalité … Le dénommé Juan a bel et bien disparu. Conscient de l'incident de la veille au soir, il est impensable qu'il se soit aventuré seul dans la forêt, délaissant même son arme au mépris du danger. Un malaise indescriptible s'empare alors de tout son être. Cette jungle devient soudain pour eux l'enfer même de la solitude et de l'angoisse. Le professeur ne trouve même plus une parole réconfortante en cette circonstance alarmante, son visage ne reflétant qu’une expression tendue et grave. Mais les Mexicains semblent revenir peu à peu à la dure réalité, paraissant enfin refaire surface, pour hélas ne faire qu’accentuer encore la suspicion de leurs employeurs, renforcer leurs craintes, accroître un peu plus encore leur désarroi.
   
     - Por dios, ce temple est sacré Sénor ! Sourément endroit maudit. Juan avoir été enlévé par dieu Serpent... anticipe déjà l'un d'eux d'une voix blanche, la lèvre inférieure légèrement tremblante.  
   
     - Partir Sénor, por favor, partir vite d'ici ! Nous pas rester Sénor... enchérit un autre, en inspectant les environs d'un regard affolé tout en se signant à plusieurs reprises.  
   
     - Nous avoir foulé lieu sacré maya Sénor... ajoute le troisième, se signant à son tour, son visage basané reflétant une profonde expression d'effroi.
   
     Ballantine fait alors un effort surhumain pour se contenir, laissant échapper un soupir d’énervement, tout en crispant nerveusement les mâchoires. Bien que ces commentaires ne remettent nullement en doute leur courage mais fassent resurgir une superstition ancrée dans les mœurs, une peur-panique semble avoir visiblement pris possession des forestiers. Cette prise de conscience, pour le moins justifiable, laisse à penser qu'il ne faudra plus compter sur leur coopération. Ballantine n’est pas sans savoir qu’étant donné les circonstances, il sera maintenant délicat de continuer d'espérer leur concours, même en échange de fortes sommes. Cette situation l'incite à réprimer un mouvement d'humeur. Il se doit de paraître imperturbable, afin de répondre aussi calmement que possible à l’appréhension de ses compagnons pour pouvoir les remettre en confiance, sans laisser percer dans sa voix son inquiétude interne.
   
     - Reprenez-vous ! Vos affirmations relèvent de la pure imagination ! Seriez-vous devenus des femmelettes ? Et comment repartiriez-vous ? Vous auriez à parcourir plus de trois cents kilomètres à pied à travers la jungle avant de pouvoir espérer rejoindre le premier village ! ...Abandonneriez-vous Juan ? ... Allons, assez d'enfantillages ! Nous allons partir à sa recherche. Il ne doit pas être bien loin.   

     Le ton employé a été des plus significatifs, n'admettant aucune controverse. Bien que   plongés dans le doute, le scepticisme dont faisaient preuve les Mexicains paraît se dégeler progressivement. Silencieux et immobiles, la tête basse et la mine sombre, ils ont acquiescé d'un simple signe de tête, s'exécutant certainement de mauvaise grâce. L'un d'eux  a même étouffé un soupir haché en adressant un regard suppliant vers le ciel.
   

     Winter qui marche de long en large, les mains croisées derrière le dos à la manière d'un animal en cage, semble quant à lui précipité dans un abîme de perplexité. Pensif, la mine contrariée, visiblement rongé par une incertitude croissante, il a cependant jugé inutile d'en rajouter, ressassant pour son compte personnel ses sombres pensées.
   

     Submergés par ces événements pour le moins contrariants, d'aucuns n'avaient remarqué jusqu’alors les empreintes en relief en forme de fer à cheval, de la taille d’une assiette plate, profondément marquées dans la terre argileuse de la clairière. 
   

     C'est le professeur qui, toujours plongé dans ses pensées, donne soudain l'alerte.
   

     - Mauvais signe Sénor ! Traces du dieu Serpent ! Danger, danger !... affabule aussitôt Miguel, les yeux exorbités.
   

     - Non, c'est pas vrai ! Vous n'allez pas recommencer ! Assez de fanfaronnades !... rugit Ballantine avec sévérité, bien que son sang n'ait fait qu'un tour... Si ces marques ont un rapport quelconque avec la disparition de Juan, nous allons le découvrir... continue-t-il d'un air plus décidé que jamais... D'ailleurs, voyez vous-mêmes ! … Il n'y a aucun signe de lutte témoignant d'une hypothétique agression. Si d’aventure votre compagnon avait été malmené, voire même blessé, nous en trouverions des indices. Or, ce n'est pas le cas … Carlos gardera le campement... annonce-t-il aussitôt après quelques secondes de réflexion, la carabine déjà passée à la bretelle. Puis, sans même laisser le temps aux Mexicains de se reprendre ... Vous deux, vous nous accompagnez... ajoute-t-il d'un ton sec en désignant un Diego et un Miguel peu rassurés. 
   

     S'attendant à une objection ... qui ne vient pas ! Ballantine et Winter ont échangé des regards complices chargés de satisfaction. Les métis, bien que le stoïcisme ne les étouffe guère, mais n'ayant de toute évidence guère le choix, paraissent tout à coup calmés, bien que résignés serait le mot exact. Ils ont toutefois haussé les épaules d'un air fataliste, en marquant leur désapprobation d’un grognement laconique.
   

     Après avoir laissé leurs consignes au gardien et lui avoir confié un talkie-walkie, ce qui leur permettra de rester en liaison permanente et d'être avertis au cas où Juan serait de retour au camp durant leur courte absence, ils se sont enfoncés tous les quatre à travers le mur de verdure mystérieux et peu rassurant du Peten.
   

     Diego s'est muni de sa précieuse et rassurante vieille Winchester qui ne le quitte jamais. Mis à part les boissons, ils n'ont emporté que le strict nécessaire, conscients du fait qu'ils devraient, avec ou sans Juan, regagner le campement avant la nuit. Ils n'ont aucune peine à suivre les empreintes profondément ancrées dans le sol. C'est avec une légitime appréhension, que Ballantine a empoigné sa carabine, prêt à en faire usage sur l'être énigmatique qui semble hanter ce territoire. 
   

     La jungle abrite une faune piaillante, criante et rampante, avec une flore à sa juste mesure. Partout s'élèvent majestueusement à plus de cinquante mètres du sol des arbres immenses aux bois précieux, ainsi que d'innombrables espèces de palmiers. Pumas et jaguars qui hantent les lieux ne constituent pas de réels dangers. Seuls les parasites et les moustiques peuvent se révéler de véritables ennemis. Les espèces qui sévissent inlassablement le jour, disparaissent miraculeusement une dizaine de minutes avant la tombée de la nuit. Elles sont rapidement remplacées par une nouvelle vague d'insectes d'un autre type, à la morsure différente, mais toutefois aussi efficace.
   

     Il n'a pas été nécessaire aux deux Mexicains de prendre la tête de l'expédition pour débroussailler et se frayer un chemin, une trouée se trouvant déjà aménagée au sein de l'affolante végétation par l'être mystérieux aux curieuses empreintes. Les marques en fer à cheval continuent à en témoigner. Mais très vite, la flore devient folle et leurs assistants, coiffés de leurs larges sombreros, sont bientôt contraints d'élargir le passage à coups répétés de machettes. Dans cet enfer vert, sombrero et "machete" sont aussi indispensables l'un que l'autre. Il s'agit avant tout, dans cette fournaise, d'éviter l'insolation lorsque l'on quitte la protection des grands arbres et d'avoir bien en main le machete à tout faire. Cet outil ancestral, que rien ne saurait remplacer dans cet endroit, leur pend habituellement sur le côté dans sa gaine protectrice. Il s'agit de le tenir bien en main, prêt à toute éventualité, ou simplement pour dégager le chemin.
   

     Un nuage de gouttes vibrantes les a entourés un court moment, mais ce n’étaient que des oiseaux-mouches aux couleurs éclatantes, faisant penser à des jeux de lumière sur un jet d'eau. Ils continuent de s'enfoncer dans cette jungle rébarbative, royaume des maladies endémiques, communes à toutes les terres tropicales de basse altitude. En langue maya, le mot "Peten" signifie "endroit isolé". Ce terme correspond parfaitement à la réalité de ce territoire, couvert d'une jungle très dense, isolé, et la plupart du temps, inaccessible. Au nord du Peten s'étale la péninsule du Yucatan, terre sèche et aride qui appartient au Mexique. Au Sud, les hauts plateaux du Guatemala le séparent du Pacifique. A l'Ouest, il est bordé par les montagnes du Chiapas et à l'Est par l'ancien Honduras britannique devenu l'état constitutionnel du Belize depuis 1981, et enfin la république du Honduras.
   

     A une quarantaine de mètres de leurs têtes, le feuillage dément du tropique tresse une voûte si serrée, que la forêt paraît baigner dans la pénombre. Cet abri naturel les protège des rayons brûlants du soleil, mais ne les épargne pas un seul instant de la chaleur étouffante, malsaine et insupportable, régnant à l'intérieur.   
   

     Au terme de deux heures d'une marche épuisante et d'une progression difficile, ils sont enfin arrivés en bordure d'un lac frangé de palmiers et de bananiers sauvages, dont les eaux vertes scintillent dans la pleine lumière du jour. Aussi en profitent-ils pour marquer une pause, les traces s'interrompant curieusement à la limite de la nappe d'eau.
   

     Winter, suant par tous les pores, s'est allongé à l'ombre d'un palmier géant, aux côtés de Diego ; l'autre métis étant resté aux côtés de Ballantine, en bordure de l’étang.
   

     - Juan emporté dans les eaux du lac Sénor ! Dieu Serpent va lé pounir et nous avec !... dramatise de nouveau Miguel avec des paroles étranglées.
   

     Ballantine a préféré ignorer la remarque, tant elle lui paraît absurde, bien que dans son for intérieur il n’en convienne pas moins que le métis n'a pas tout à fait tort. Les traces en fer à cheval s'arrêtent précisément sur le rivage, comme si l'étrange créature à l'apparence verdâtre était entrée dans les eaux du lac.   
   

     Une légère ondulation glissant dans l'eau claire à moins d'une dizaine de mètres de la berge vient d’attirer son attention.  Cela ressemble à une énorme souche. Il ne faut pas s'y tromper, car  il n'en est rien. Bien que seuls affleurent des yeux aux arcades rocailleuses et la pointe de ce qui ressemble à un museau de la préhistoire, notre ami a immédiatement identifié un crocodile. Un caïman plus exactement, certainement nombreux en ces lieux. Aussi signifie-t-il aussitôt aux deux autres restés allongés sous les palmiers d'ouvrir l’œil et de rester sur leurs gardes. Mais le compagnon du professeur le tranquillise en brandissant sa Winchester.
   

     - Nous savoir Sénor. Pas danger.
   

     Rassuré sur ce point, le voici qui arpente nerveusement les abords du lac à la recherche de la solution miracle.
    

     Une dizaine de minutes s'étant écoulées, étranglant un râle, il a rejoint les autres, le prodige ne s'étant toujours pas accompli.
    

     - Nous aurions dû emprunter l'hélico... jette-t-il d'une voix hargneuse, les nerfs tendus comme des cordes de piano... Nous aurions été cent fois plus vite.
   

     - Mais ... vous savez bien Dany, que notre réserve de kérosène n'est pas assez importante. Nous avons tout juste de quoi tenir jusqu'au retour. Jusqu'à Florès... tente d’argumenter Winter d'une voix fluette.
   

     - Vous avez raison professeur. Nos réserves de carburant ne nous permettent pas de faire le guignol au-dessus de cette satanée jungle. Ce n'était pas prévu. De toute façon, il est évident que de là-haut nous n'aurions pas pu pister cette créature… conclut-il, comme pour se trouver un soupçon de consolation. 
   

     Puis, se saisissant de son talkie, il actionne nerveusement le timbre d’appel du métis de garde au campement, ne se faisant toutefois aucune illusion quant à sa réponse.
   

     - Rien de nouveau Carlos ? Toujours pas vu Juan ?... s'enquiert-il d'une voix inquiète.  
   

     C’est une réponse grésillante qui lui parvient aussitôt en retour…

    - No Sénor. Juan pas encore révénou. Et vous, vous né l'avez pas trouvé non plous ?

    - Nous poursuivons les recherches. Surtout, ne t'éloigne pas ... Terminé.
   

     - Que proposez-vous Dany  ?... demande aussitôt Winter, le visage grave.
   

     - On ne va tout de même pas attendre ici jusqu'à la saint glinglin ! C'est incompréhensible ! Tout porte à croire que cet être est entré dans les eaux du lac ! Il ne nous reste plus qu'à rentrer… jette-t-il d’un air dépité, assorti d’un geste de mauvaise humeur.
   

     - Sénors, vénez voir ! Vite Sénors, vénez voir !... s'écrie soudain et avec insistance l'un des métis planté à la lisière de la forêt.   
   

     - Qu'y-a-t-il Diego ? Aurais-tu fini par apercevoir le diable !... ironise Ballantine sur un ton moqueur, se pressant toutefois d'obtempérer.
   

     C’est d’un bras tremblant que le Mexicain lui désigne de nouvelles marques en fer à cheval, visiblement récentes, incrustées dans le sol. Elles s’avèrent toutefois moins profondes que celles qu'ils avaient suivies jusqu’alors, se dirigeant à n'en pas douter une nouvelle fois à travers la jungle, ouvrant un nouveau passage.
   

     - Bon sang ! Venez voir professeur ! On dirait que cette créature est retournée dans la forêt avant que nous ne parvenions jusqu’ici. Les empreintes sont moins prononcées.
   

     Winter se rend aussitôt à l'évidence. Il s'agit bien de marques en tout point semblables à celles qu'ils ont jusque là pistées. Les deux Mexicains ont eux aussi remarqué que les empreintes étaient moins encaissées, comme si l'être fantomatique s'était débarrassé d'un poids mort.  
     

     - Il ne s'agit peut-être pas de la même créature... risque Winter, perplexe, devant l'inquiétude grandissante de son ami, bien qu’étant saisi de la même conviction …  A savoir que l'étrange « chose », après être entrée dans le lac et s'être débarrassée de la charge qu'elle transportait, avait regagné la jungle.
   

     - Cela m’étonnerait professeur. Il ne doit pas y avoir beaucoup de locataires dans ce coin perdu qui soient en mesure de laisser des traces pour le moins aussi singulières. De toute manière, nous ne devons rien laisser au hasard.  Nous verrons qui aura le dernier mot !… jette Ballantine, en invitant ses compagnons à se lancer sur la nouvelle piste laissée par l’être mystérieux.
   

     - Eh bien quoi ! Vous attendez l'autobus ?... ironise Winter d'une voix chevrotante en s'adressant aux deux métis qui, la bouche grande ouverte, semblent s'être transformés en statues de marbre.
   

     L'écrasante forêt vient à nouveau de les engloutir. Bien que rien ne le laisse paraître, Ballantine ressent une immense lassitude s'abattre sur ses épaules, avec le sentiment que leurs efforts auront été inutiles. Tout semble ligué pour laisser persister en eux une sournoise angoisse, bien que ces quelques jours de recherches acharnées leur aient toutefois offert un bilan pour le moins positif. Ce sera peut-être là leur unique consolation. Mais il y va en cet instant de la vie d'un homme. Et cela, il ne l'accepte pas.
   

     Ils cheminent depuis deux bonnes heures, lorsque Diego qui, à l'instar de son compatriote possède un sens inné de l'orientation au sein de cet enfer vert, fait soudain remarquer que les traces convergent, à n'en pas douter, en direction de leur campement, distant maintenant d'une heure de marche, à peine.
   

     - Bon sang ! Il faut alerter Carlos !... réalise aussitôt Ballantine, qui s'est empressé de se saisir de son talkie ...
   

     Le soulagement s’est fait attendre durant une poignée de secondes qui leur ont paru interminables, au terme desquelles la voix nasillarde et empâtée du gros Carlos retentit pour la seconde fois dans l'écouteur du petit émetteur-récepteur…
   

     - Oui Sénor ?
   

     - Ecoute-moi bien Carlos et ne pose pas de questions. Tu vas immédiatement te rendre dans ma tente. Dans mon havresac tu trouveras un revolver. Il y a un chargeur à l'intérieur et trois autres de rechange dans la poche droite. Prends le, ainsi que les chargeurs et attends-nous dans l'hélico. En aucun cas tu ne dois en sortir avant notre retour. Tu m'entends bien Carlos, en aucun cas. Compris ?
   

     - Si Sénor si. Yé vais prendre votré revolver et yé vous attends dans l'hélico. O.K. Yé fais comme vous dites Sénor.
   

     - Bon ... Terminé ... A tout de suite.
   

     - Tâchons de presser le pas... recommande encore Ballantine en faisant glisser nerveusement une balle dans le canon de sa 22.   
   

     La forêt a soudainement frémi comme sous la violence d’une averse torrentielle. Diego, qui va devant, semble s’interroger sur cette rumeur qui se rapproche et s'amplifie, tandisque leur parvient une odeur épouvantable et que retentissent de furieux grognements.
   

     - Des pécaris !... s'est exclamé Ballantine.
    

     A peine ont-ils eu le temps de se jeter de côté, que surgit toute la horde, têtes baissées. A leur allure, les cinq hommes ont aussitôt réalisé qu'ils étaient dangereux, certains montrant même les crocs. Mais la troupe est passée au grand galop, avant de se perdre aussi vite qu'elle s'était manifestée, dans l'immensité de la forêt.
   

     - Ces cochons sauvages ont bien failli nous agresser !...  peste le professeur d'une voix tremblante... Nom d'une pipe, quelles sales bestioles ! Que le diable les emporte !
   

     - Je suis certain que si cela avait été le cas, ces vilaines bébêtes auraient assurément eu un faible pour votre grassouillette personne...  raille Ballantine en faisant entendre un petit rire aigre et forcé.
   

     Avec un haussement d'épaules, Winter a baragouiné quelques mots incompréhensibles, signifiant certainement par-là qu'il n'appréciait guère la vanne lancée par son ami. 
   

     Ils ont parcouru plusieurs centaines de mètres sans avoir eu à dégager le passage, la végétation s'étant largement éclaircie. Diego, qui mène la troupe, leur signale subitement, un doigt sur les lèvres, de faire silence. Il a empoigné sa Winchester dont l'armement claque et résonne à travers la forêt l'espace d'une seconde. Il épaule lentement ... et à l'instant où la salve retentit comme un coup de tonnerre, un splendide dindon sauvage, qui prenait lourdement son envol en glougloutant, s'effondre aussitôt à quelques mètres à peine dans les fourrés. Le tireur s’est précipité sans attendre vers le lieu de sa chute … A l’instant où il se préparait à le saisir, un ocelot a bondi sur le volatile pour disparaître illico avec sa prise dans la gueule, ne laissant sur place qu'un amas de plumes ébouriffées encore tièdes.

    Une grimace de dépit s’est ébauchée sur la face ronde du Mexicain. Il a rejoint les autres en bredouillant un juron, masquant maladroitement sa déconvenue. Mais son attitude gauche, assortie de sa malchance, déclenchent la raillerie de Miguel.
   
     - Madré dé dios amigo ! Lé chat sauvage, il s'est bien foutou dé toi ! Ma il a oublié dé té dire merci !... pouffe ce dernier en se tapant sur les cuisses sans aucune retenue.   
   
     La plaisanterie a déridé les visages graves de la petite troupe. L'intéressé malchanceux, visiblement vexé et assurément profondément atteint dans son amour propre, a haussé les épaules. Puis, remettant nonchalamment sa Winchester à la bretelle comme si de rien n'était, fait mine de prendre un air sérieux, faussement décontracté, comme frisant même l'indifférence. Mais son comportement cocasse, grotesque, voire emprunté, ne saurait en aucune façon abuser ses compagnons, ne faisant qu'amplifier leur état soudain d'hilarité et qui cette fois en sont carrément à rire à gorge déployée. Cette explosion imprévisible de moquerie communicative, voire contagieuse, a tôt fait de par la force des choses d'entraîner à son tour l'infortuné Diego dans ce fou rire tourbillonnant. Il finit par y participer bien malgré lui, ce qui détend un court moment cette atmosphère d'inquiétude et d'angoisse.   
   
     Leur comportement a certainement dérangé un groupe de singes atèles noirs aux membres grêles, ainsi qu'une bande de sapajous. Les primates leur font aussitôt comprendre qu'ils sont des intrus en poussant des cris, tout en les bombardant rageusement avec des branches mortes et des fruits verts, avant de s'enfuir en hurlant. Les membres de la petite troupe les suivent un court instant du regard, avant qu'ils ne se volatilisent dans l'épaisse ramure des grands arbres de la forêt.
   
     Diego vient de les informer qu'ils n'étaient plus qu'à un kilomètre du camp, à l’instant même où retentissent deux ... puis trois coups de feu, dont l'écho a claqué et roulé en cascade dans la jungle. 
   
     Ils ont immédiatement marqué un temps d'arrêt, tendant l’oreille ... Mais plus rien, à part les cris tonitruants des singes et le concert habituel des chants d'oiseaux. Le cœur battant à tout rompre, Ballantine s’est saisi de son talkie-walkie, brusquement assailli par un étrange pressentiment, une sorte de prémonition malsaine et inexplicable. 
   
     Malgré son insistance, Carlos, cette fois, ne répond pas. Ballantine ne sait pas pourquoi, mais il s’y attendait. Il s'est produit quelque chose d’anormal au campement. Sur quoi ou plus exactement sur qui a tiré le Mexicain ? Car ce ne peut être que lui l’auteur des coups de feu. D'ailleurs, Ballantine a reconnu la musique caractéristique de son colt  Python calibre 35.    
   
     Il tente encore une fois de joindre le Mexicain, mais sans plus de succès. L’inquiétude commence à l’envahir. Beaucoup plus qu’un doute, il a tout à coup la certitude qu’ils vont arriver trop tard, que le pire s’est déjà produit. Le visage décomposé, il s’est tourné vers le professeur qui, avec une grimace de contrariété, lui signifie que son angoisse est partagée. Ce qui les chagrine davantage, c'est que la piste laissée par l'être mystérieux se dirige comme ils le redoutaient en direction de la clairière où a été dressé le campement.
   
     C’est au pas de course qu’ils surgissent dans la petite plaine quelques minutes plus tard, à l’instant où une silhouette fantomatique, au corps entièrement velu et verdâtre, apparaît au premier plan. Elle est d’une taille impressionnante, atteignant certainement les deux mètres cinquante, voire plus. Elle se dirige en direction de la lisière de la forêt, un fardeau humain sur ses larges et puissantes épaules.   
   
     Ballantine a senti son poil se hérisser
     
     - Bon sang ! Cette chose emmène Carlos !... s'écrie-t-il en refermant rageusement la main sur la crosse de son arme.
    
     Durant un bref instant, la « chose » a marqué un temps d'arrêt, les ayant visiblement repérés. De grandes mèches d’une chevelure abondante lui couvrent les épaules comme une crinière et une boule de vapeur pâle lui tient lieu de tête.
    
     Mais Diego a déjà épaulé … Au risque de blesser son compatriote, il lâche plusieurs salves sur l’étrange apparition.
    
     Celle-ci a tourné rapidement les talons, accompagnant sa fuite d'un formidable bond, pour aussitôt trouver refuge et protection sous l'épaisse végétation de la forêt. 
   
     - Un bigfoot !... s'est exclamé Winter, le visage décomposé.   
    
     - No Sénor ! Mamma mia, cette créatoure n’est pas un bigfoot !
   
     - Miguel a raison professeur... relève Ballantine... Ces hommes-bêtes, si toutefois ils existent vraiment, n'ont été aperçus qu'en Californie ou dans les régions retirées du nord-ouest des Etats Unis. En outre, ils ne sont pas de nature belliqueuse, mais curieuse…
    
     L'arme au poing, la troupe s’est précipitée dans la direction où vient de disparaître la fantastique créature. Ils ont aussitôt remarqué les étranges traces en fer à cheval. Mais c'est peine perdue … L'être mystérieux a déjà disparu. 
   
     - Vite, à l'hélico !...  lance Ballantine.
   
     Sitôt dit, sitôt fait… Les voici tous les quatre entassés dans la gazelle SA 341, Ballantine aux commandes. Et le gros insecte bruyant a décollé.
    
     Manié de main de maître et afin de ne pas éveiller la méfiance de l'étrange créature, son pilote lui a fait effectuer un court crochet au-dessus de la forêt avant de piquer vers le lac.
   
     Moins de dix minutes plus tard, l'hélico survole déjà la verte étendue d'eau avant de se poser en retrait, sous l'abri des grands arbres.
   
     - Cette « chose » va voir de quel bois on se chauffe... fulmine Ballantine en sautant à terre, imité en cela par ses trois compagnons... Elle ne s'attend pas à ce que nous l'ayons précédée à cet endroit. Nous allons lui tendre un piège… rumine-t-il en serrant nerveusement les mâchoires. 
   
     Ballantine et Winter se sont dissimulés dans les broussailles à l'orée de la forêt, à moins d'une quinzaine de mètres des premières empreintes. Diego et Miguel se sont postés à quelques mètres des secondes. 
   
     L'attente n'aura pas été longue ... 
    
     Une trentaine de minutes se sont à peine écoulées, que la créature au pelage verdâtre surgit, son fardeau humain sur ses larges épaules. Sa taille est vraiment impressionnante. 
   
     Ballantine n’a pas attendu qu'elle pénètre dans le lac. Il s’est aussitôt débusqué, prêt à faire feu, tandis que les Mexicains se dévoilent à leur tour, l'un brandissant sa machette, l'autre mettant la créature en joue avec sa Winchester.
   
     Un sourd grognement a retenti … La bête, ou tout au moins ce qui lui ressemble, a fouetté l'air de son énorme main griffue. Durant quelques secondes, ils n’ont pu détourner les yeux de cette boule pâle et verdâtre lui tenant lieu de tête et sur laquelle ils  recherchent vainement les yeux, le nez, la bouche ... !  Sans succès ?   Peut-être pas !
   
     En effet, l'aspect insolite verdâtre et vaporeux semble tout à coup s’évanouir progressivement, comme une brume légère qui se dissiperait dès l'apparition de l'aurore. Le phénomène s’accentue, dévoilant à présent, mais l'espace d'un court instant, une face tremblotante aux contours imprécis, aplatie, noire et luisante, avec de grands yeux jaunâtres et un trou à la place de la bouche. L’ensemble reste flou et confondu et ne tarde pas à reprendre son état originel d'une boule verte semblant sans consistance, cerclée d'un épais brouillard, et tournant sur elle-même.
   
     Un instant stupéfaits, les membres de la petite troupe ont tardé à réagir, ce qui laisse à  l’être d’apparence fantastique l'occasion d'en profiter pour filer en direction du lac en leur adressant un rugissement menaçant. Mais Diego l'a déjà mis en joue … Une détonation a claqué, immédiatement suivie d'une seconde, confondues par l'écho. 
   
     La créature a été atteinte par deux projectiles à la cuisse, car elle s'est écroulée lourdement, la tête au ras de l'eau.
   
     Ballantine s’est précipité pour lâcher à son tour une salve en automatique, visant la masse herculéenne. Et c'est quatre nouveaux projectiles qui lui labourent sa puissante poitrine avec un bruit sourd. Mais la « chose » ne semble pas en souffrir pour autant … Elle s’est redressée, abandonnant le corps sans réaction du Mexicain qu'elle avait transporté jusque là. Avec un nouveau rugissement, elle pénètre précipitamment dans les eaux tièdes et profondes de l’étang où elle ne tarde pas à disparaître, provoquant un léger tourbillon, après avoir encaissé deux nouvelles décharges dans la tête expédiées par Diego.  
   
     D'un œil attentif et durant un court instant, les cinq hommes ont scruté l'étendue du lac, avant de se précipiter vers l'infortuné Carlos allongé sur l'herbe, la face contre terre.
    
     Ballantine entreprend de le retourner précautionneusement sur le dos, guettant un souffle de vie et c'est d'une voix rassurée qu'il s'adresse à ses compagnons ...
   
     - Tout va bien. Il respire. Il est simplement évanoui.
   
     Diego, qui est allé recueillir un peu d’eau dans le creux de ses mains, en asperge le visage de son compatriote, qui ne tarde pas  à refaire surface. Il a à peine repris contact avec la réalité, que ses traits s’animent de tics nerveux. Ses yeux semblent agrandis par une terreur indescriptible, reflétant une panique incontrôlable. La bouche grande ouverte, il dévisage ses compagnons tour à tour, avant de s’agripper sans aucun ménagement et d’une main tenace au col de chemise du professeur.
   
     - El Diablos !  Malo ! El Diablos a attaqué Carlos !… s’écrie-t-il, le regard vide.
   
     - Ca va aller. Il n'y a plus aucun danger. Allons, tout va bien maintenant...  le tranquillise Ballantine, sur un ton se voulant rassurant, tentant de le ramener à la raison. 
   
     Mais la frayeur ne semble pas vouloir quitter le visage du Mexicain, qui inlassablement, persiste à ressasser la même rengaine.   
   
     - Il est commotionné. Laissons-le récupérer... conseille le professeur en s'efforçant de détacher la main crispée du malheureux, qui s'acharne sur le col de sa chemise, le faisant friser la strangulation.
   
     - Vous avez vou ! Cette créatoure a la face dou diablos Sénor... récidive le plaignant Miguel.
   
     - Ah non ! Tu ne vas pas recommencer tes jérémiades !… s’emporte Ballantine… Tu as bien vu que cette bête, enfin ... cette chose ... avait un corps ! ... Elle s'est débarrassée de Carlos sitôt après que Diego lui ait collé du plomb dans l’aile ! Enfin quoi Miguel ! Rends-toi à la réalité nom d'un chien !
   
     C’est toutefois la mine perplexe, que le susnommé les a rejoint, après avoir arpenté en vain les abords du lac.
   
     - C'est courieux Sénor, il n'y a aucoune trace dé sang sour lé sol !  Yé l'ai pourtant touché à la cuisse et à la tête... prétend-il en brandissant fièrement son arme, dont le canon est encore tiède.
   
     - Tu es certain de ce que tu avances ?... insiste Ballantine.
   
     - Vénez vous rendré compte vous-même Sénor.
   
     Et, entraînant notre ami, Diego lui désigne les empreintes en fer à cheval encore fraîches. Mais il faut se rendre à l'évidence. Aucune trace de sang n'apparaît sur l'herbe, même à l'endroit où l’être fantastique a abandonné l’infortuné Carlos.
   
     Ballantine est revenu près de Winter, l'esprit embué, pour le prendre discrètement à part.
   
     - Diego a raison professeur. C'est à n'y rien comprendre ! Je suis moi-même certain d'avoir touché cette créature à la poitrine. Et vous avez vu ! Elle n'a même pas semblé s'en soucier !
   
     - C’est curieux en effet. Notre compagnon vient d'affirmer qu'il l'avait blessée lui aussi. D'ailleurs, c'est certainement la raison pour laquelle cette monstruosité s'est débarrassée de Carlos... souligne Winter avec raison.
   
     - Je pense que cette « chose » a été prise à l'improviste. Elle ne s'attendait pas à nous trouver ici, près de sa tanière. C'est l'effet de surprise qui lui a certainement valu d’abandonner sa prise et rien d'autre. Avec ce qu'elle vient d'encaisser, elle devrait être salement amochée. Voire même étendue raide sur le carreau.
   
     - Vous avez peut-être raison Dany. Les balles seraient alors curieusement sans effet sur ce monstre qui, de surcroît, ne ressemble à aucun animal répertorié sur la planète à ce jour... mentionne pensivement le professeur... Outre cela, vous avez remarqué cette absence  de faciès au départ ! Puis subitement, comme par enchantement, cette boule de vapeur verte s'est dissipée pour découvrir un aspect bestial aux yeux étranges, avant de se confondre en une espèce de brouillard vaporeux et verdâtre !   
   
     - Cette monstruosité m’a tout l’air d'un spectre brumeux sorti de sa sépulture préhistorique ! Nous allons de mystère en mystère professeur. Il ne faudrait pas que cela perdure ou nous courrons vers la folie, abstraction faite des chicleros sur lesquels nous n'allons plus pouvoir compter. Miguel n'a peut-être pas tout à fait tort après tout.
   
     - Que voulez-vous dire par-là ?
   
     - Il s'agit peut-être du diable en personne !

Extrait de : Les Sondeurs du Temps ( de Stephan LEWIS ) -

   Les Sondeurs du Temps - de Stephan LEWIS  Edition épuisée en librairie -

 
2 septembre 2011

Le Secret des Pierres d'Ica

Le Secret des Pierres d'Ica
 
Le Secret des Pierres d'Ica - de Stephan LEWIS

 Stephan LEWIS en dédicaces dans les Hyper AUCHAN

Stephan  LEWIS

Le Secret des Pierres d'Ica

Le Secret des Pierres d'Ica - de Stephan LEWIS

 

RESUME -
 
« Cher ami... Je suis sur le point d'aboutir dans mes recherches, mais depuis qu’ils me traquent, ils sont parvenus à repérer l'endroit où je me trouve... Je vous confie les pierres d'Ica... Elles permettront de compléter les six tablettes de Nacaal... Je crains pour mon existence et il est impératif de les mettre en lieu sûr. Elles seules peuvent sauver l'humanité... Rejoignez-moi au plus vite, car le temps presse… Et méfiez-vous des Hommes en noir... Bonne chance... (signé) Javier Cabrera. »
A la lecture du télégramme qui vient de lui être adressé, le professeur Joseph Winter et son ami Dany Ballantine, ignorent encore qu’ils vont être amenés à se déplacer à travers le temps pour percer le secret du crash de l’OVNI de Roswell le 2 juillet 1947. Parviendront-ils à résoudre cette énigme haletante qui a le plus passionné le public et qui continue à faire couler autant d’encre ?

 

CHAPITRE I 

 

          Montségur, Ariège … 3 juillet 1999 … 7 h 05 du matin

       
        Le professeur Joseph Winter, éminent archéologue britannique sexagénaire au front partiellement dégarni, est confortablement installé dans le salon de style anglais qui meuble la bibliothèque de sa superbe villa. En un mouvement trahissant sa perplexité, il tourne et retourne entre ses doigts une pierre ovalisée de couleur sombre aux arêtes arrondies. Elle fait partie de l’envoi des soixante quatre galets de dimensions identiques, que son ami et confrère, le professeur Javier Cabrera vient de lui faire parvenir de La Paz en Bolivie. Le texte de la dépêche qui a précédé la réception du colis et que Winter a relu pour la cinquième ou sixième fois consécutive, dénote la précipitation avec laquelle il a été rédigé.

       
        " Cher ami ... Je suis sur le point d'aboutir dans mes recherches, mais depuis qu’ils me traquent, ils sont parvenus à repérer l'endroit où je me trouve ... Je vous confie les pierres d'Ica ... Elles permettront de compléter les 6 tablettes de Nacaal... Je crains pour mon existence et il est impératif de les mettre en lieu sûr ... Elles seules peuvent sauver l'humanité... Rejoignez-moi au plus vite, le temps presse … Et méfiez-vous des Hommes en noir ... Bonne chance ... Amicalement ... Javier Cabrera "

       
        Tout en continuant de détailler la pierre qu'il avait entre les mains dont le poids trahissait une densité inhabituelle qui, à première vue, ne correspondait pas à sa taille, il méditait sur le fait que l'une de ses faces était gravée à l'image d'un poisson étrange.

       
        Dany Ballantine, un solide gaillard de 41 ans bâti en athlète, ami et compatriote de Winter, dont les cheveux noirs taillés en brosse couronnent un visage énergique aux yeux verts, surgit à l’instant dans la grande bibliothèque, l’interrompant dans ses pensées.

       
        - Hello professeur ! Belle journée en perspective !... lance-t-il joyeusement, en étouffant d’une main un dernier bâillement.

        
        - Déjà debout !... s'étonne Winter en serrant la main qui lui est tendue... J'avais prié Alexander de vous monter le petit déjeuner vers 8 heures.

       
        Le majordome du professeur, qui vient de pénétrer à son tour dans la pièce, ne lui laisse guère le loisir de répondre …

        
        - Bonjour monsieur Dany. Désirez-vous prendre votre breakfast dans le grand salon ?

        
        - Salut Alexander. Un jus de fruit suffira pour l'instant. Je pars faire mon jogging matinal.

        
        Ballantine a tout de suite remarqué le paquet postal ouvert sur le bureau du professeur, dont le contenu dévoile les étranges cailloux. Avant que sa curiosité ne soit davantage mise à l'épreuve, Winter lui confie aussitôt celui qu'il a entre les mains.

       
        - Que pensez-vous de ceci ?… lui demande-t-il, la mine réfléchie. 

          
        Et sans ajouter un mot, il semble attendre la réaction de son ami.

        
        - Cette gravure et ces dessins sont surprenants !... murmure ce dernier après l'avoir examiné avec une attention soutenue.

        
        Puis, sans y être invité, il s’est saisi d'un autre galet d'aspect aussi étrange et mystérieux que le premier, dont le symbole gravé représente cette fois une pyramide.

        
        - J'ai reçu ce paquet il y a une demi-heure à peine... précise Winter… C’est de mon ami le professeur Javier Cabrera … Ce pneumatique m’est pratiquement parvenu en même temps que le colis… ajoute-t-il en lui soumettant la missive.

       
        - Il semble courir un danger imminent... note aussitôt Ballantine... Il prétend être sur le point de faire une découverte importante !

         
        - En effet... relève Winter... Ses travaux ont toujours été axés sur les mystères de l'origine de la vie.

         
        - Quelles sont ces tablettes de Nacaal auxquelles il fait allusion ?… poursuit Ballantine en se caressant machinalement le menton… Et que peut bien signifier cette mise en garde concernant ces hommes en noir, ainsi que ce danger que semblerait courir l'humanité ?

         
        - J'ignore qui sont ces gens mentionnés dans son message... indique Winter avec une moue de perplexité… Par contre, il m'avait à maintes reprises entretenu sur les recherches qu'il avait entreprises pour retrouver les Tablettes de Nacaal. Ces tables de pierre seraient, paraît-il, recouvertes d'une écriture alphabétique et énigmatique. Elles seraient censées révéler l'origine de l'humanité.

        
        - Si votre ami est réellement en danger, il faut lui venir en aide !… anticipe déjà Ballantine... Pourquoi ne pas lui téléphoner ! Vous gagneriez du temps et cela nous permettrait d'éclaircir rapidement cette énigme. Tout au moins en partie !

         
        - C'est un cabochard et un sédentaire... argumente Winter avec un soupir haché... Malgré mes éternelles recommandations, il n'a jamais prétendu se faire installer le téléphone. Il a toujours tenu à s'isoler, afin de pouvoir se consacrer entièrement à ses recherches dans la solitude la plus complète.

        
        - Où demeure-t-il ?

         
        - C'est un Bolivien. Il habite La Paz. Vous voyez que ce n'est pas la porte d'à côté !

        
        Dans un geste synonyme d'une grande perplexité, Ballantine s’est passé une main ouverte dans sa courte brosse.

       
        - Si vous êtes de mon avis professeur, il n'y a pas un instant à perdre. Vous vous devez de répondre à l'invitation de votre confrère et ami. Et si vous le permettez, étant donné les circonstances, je vous accompagnerai.

         
        Il n’en aura pas fallu plus pour décider Winter. Après avoir prié son majordome de préparer leurs bagages, il a aussitôt contacté l'aéroport de Perpignan afin de réserver un prochain vol pour l’Amérique du Sud.

       
        Entre-temps, Ballantine est monté dans sa chambre renseigner Peluche, un robot des plus perfectionnés ayant l’apparence d’un gorille. Sa taille frise les 2m50 et sa dénomination exacte est Z 24. C’est Ballantine qui lui a donné cet amusant sobriquet. Les Lunariens qui voyagent dans l’espace-temps et viennent de l’an 2210, lui en ont fait don en reconnaissance de la réussite de ses précédentes missions qu’ils lui avaient confiées. Ballantine étant lui-même originaire de l’année 2032, mais s’étant définitivement cantonné dans le présent du professeur Winter, devenu son inséparable compagnon d’aventures.

       
        L'androïde, pour des raisons évidentes de discrétion, attendra leur retour dans la villa.

        
        Le départ est prévu pour 16 h 27. Ils ont donc tout le temps pour se préparer et se rendre dans un bureau de change.

 

*          *          *

 

 CHAPITRE II

       
        Le lendemain, 4 juillet 1999 …

 

          
        Ils ont décollé à l’heure prévue et le vol s’est déroulé sans incident. Il est un peu plus de dix heures du matin avec le décalage horaire, lorsque leur appareil se pose sur l’aéroport de La Paz.

          
        Sitôt après avoir récupéré leurs bagages, un taxi les emmène au 827 Cerro Rico, où demeure le professeur Javier Cabrera. Winter, qui parle couramment l'espagnol, langue officielle des Boliviens avant l’aymara et le quechua, ayant indiqué l'adresse au chauffeur.

           
        A cette heure de grande affluence, la ville de La Paz, siège du gouvernement bolivien et capitale de fait du pays, est en pleine effervescence. Bâtie à 3700 m d'altitude entre le lac Titi caca et le massif de l'Illimani, c'est la plus élevée des grandes villes du monde. L'artère principale est déjà passablement encombrée. De nombreux cyclistes imprudents zigzaguent en gymkhana entre les automobiles, faisant craindre l’inévitable accrochage à chaque instant. Malgré les coups répétés de Klaxon visant à les rappeler à l’ordre, leur chauffeur ne parvient toutefois pas à les intimider et encore moins à freiner leur ardeur des plus acrobatiques. La plupart sont des Indiens au costume extrêmement typique, revêtus de ponchos ou d'amples manteaux, malgré la chaleur qui règne à l'intérieur du pays. Ils portent presque tous des chapeaux à bords très étroits et les femmes arborent de longues robes aux couleurs vives et bariolées. Elles sont coiffées, elles aussi, du caractéristique chapeau des Indiens.

          
        Le véhicule vient de bifurquer sur la droite, avant de s'immobiliser devant l'un des nombreux immeubles et le conducteur leur indique qu'ils sont parvenus à destination.

           
        Sitôt après avoir réglé la course, un ascenseur les a emmenés vers le cinquième étage.

           
        Ils sont maintenant, bagages en mains, devant le n° 827…

          
        Un coup de sonnette, suivi immédiatement d'un second, puis bientôt d'un troisième les impatiente. Malgré l'obstination dont ils continuent de faire preuve, la porte ne s'est toujours pas ouverte.

           
        - Il s'est certainement absenté pour faire une course... hasarde avec réserve Ballantine.

          
        - Cela n'est pas dans ses habitudes... objecte le professeur... C'est Conchitta, sa femme de ménage, qui s'oblige à toutes ces contraintes. Comme je vous le disais, c'est un casanier. Il vit en ermite et ne sort pratiquement pas de chez lui.

           
        Winter ne dissimule toutefois pas sa contrariété, aussi Ballantine lui suggère-t-il de se renseigner auprès de la conciergerie.

          
        Les portes de l'ascenseur se sont de nouveau ouvertes sur le rez-de-chaussée. Après avoir repéré le logement du gardien, ils sonnent à la porte… 

          
        Une petite femme brune et grassouillette ne tarde pas à faire son apparition, les dévisageant avec une insistance exagérée. Le professeur, après avoir décliné son identité, entreprend aussitôt de la questionner.

          
        Au terme de quelques minutes d'un échange fastidieux d'une conversation des plus animées, assortie d'une démonstration de gestes des plus convaincants, Winter s’est tourné vers son ami ...

           
        - Cette femme me disait que deux hommes l’avaient interrogée, il y a une heure à peine, au sujet de Cabrera ! Ils désiraient savoir où le trouver. Elle leur a confirmé qu'il ne quittait pour ainsi dire jamais son appartement.

          
        - Demandez-lui si ces hommes étaient des étrangers et s'ils n'étaient pas, par hasard, habillés de noir... relève pensivement Ballantine.

          
        Le professeur a aussitôt repris son interrogatoire …

          
        Avant que ne lui soient traduites les paroles de la Bolivienne, Ballantine remarque  que tout en dialoguant cette fois avec empressement, elle a acquiescé de plusieurs signes de tête à la question qui lui était posée. C'est donc sans la moindre surprise qu'il recueille la confirmation du professeur, étonné et visiblement inquiet.

           
        Après avoir remercié la concierge, ils décident de patienter dans l'un des nombreux bars des alentours où ils attendront le retour du Bolivien.

           
       Ils sont bientôt attablés sous un ventilateur poussif, au milieu d'une cohue indescriptible et d'un charivari assourdissant, mêlant à la fois les conversations et le chahut des consommateurs. Ils se sont fait servir un coca, boisson typiquement originaire de la Cordillère des Andes. Ce breuvage permet, paraît-il, aux montagnards de marcher six jours sur les pentes les plus abruptes où, d'habitude, on perd le souffle en raison de la raréfaction de l'air. De cette mixture et du cola qui pousse en Afrique, les Américains ont tiré le Coca-Cola bien connu, au goût un peu pharmaceutique.

           
        - Pour en revenir à ces hommes en noir dont a fait mention la gardienne, il est probable que votre ami se soit justement enfui après leur visite, en ayant eu la prudence de ne pas leur ouvrir... avance Ballantine, perplexe.

           
        - C'est plausible... grimace Winter avec un air de contrariété... Mais Cabrera n’ignorait pas que je répondrais rapidement à son invitation. Je reste même persuadé qu'il avait certainement envisagé que je sauterais dans le premier avion.

           
        - Que peuvent donc bien lui vouloir ces mystérieux hommes en noir qu'il semble apparemment redouter ?… médite encore Ballantine en se caressant pensivement le menton.

           
        Mais ils ont brusquement interrompu leur conversation … Deux individus d’allure officielle et tirés à quatre épingles, viennent de prendre place à leur table sans même y avoir été invités.

          
        Winter et Ballantine, pour le moins surpris, leur retournent des regards étonnés autant qu’interrogateurs, ne sachant manifestement comment réagir …

          
        - Vous êtes bien le professeur Joseph Winter?… questionne brutalement et à brûle-pourpoint l’un des deux inconnus d'une voix sèche et désagréable, sans autre formule de politesse, semblant même ignorer volontairement la présence de Ballantine.

          
        Ce dernier a tressailli en remarquant l'étrange tenue des deux arrivants … Veste et pantalon noirs, cravate noire. Leurs visages sont en partie dissimulés par un chapeau mou comme en portent les ecclésiastiques, avec les bords intentionnellement rabattus sur le front.

          
        - C'est bien moi, en effet !... s'effare le professeur, pris de court par cette interpellation pour le moins inattendue et de surcroît en ces lieux où personne n'est censé le connaître.

          
        - Nous sommes des agents de renseignement de la Royal Air Force... prétend aussitôt le second individu, en exhibant rapidement son laissez-passer officiel.

          
        - Je me nomme Jefferson. Et voici Davis... reprend le premier homme en désignant son compagnon d’un mouvement de tête.

          
        - Nous savons que vous êtes ici dans le but de rencontrer le professeur Javier Cabrera et que vous êtes en possession de certaines pierres... indique le dénommé Davis avec une évidente certitude dans la voix.

         
        Winter, pris une nouvelle fois à l'improviste, semble déconcerté. Il a levé un regard désemparé sur son ami, ne sachant manifestement que répondre.

          
        - De quelles pierres voulez-vous parler ?…s'interpose cette fois ce dernier, sur le ton de l’irritation.

          
        Les deux hommes le dévisagent avec étonnement. Ils ne semblent pas saisir de quel droit intercède cet inconnu, qu'apparemment ils ignorent depuis leur arrivée.

          
        - Qui êtes-vous pour vous mêler de nos affaires ?… lui réplique d’un ton sec le dénommé Davis, qui n’a pu réprimer un geste d’agacement en le considérant d’un œil glacé.

          
         - Peu importe mon nom. Cela ne vous regarde en aucune manière !… s’emporte à présent Ballantine avec un mouvement d’humeur… Sachez néanmoins que je suis un ami du professeur. De quel droit lui posez-vous toutes ces questions ?…

          
        - Notre mission consiste à récupérer ces pierres ... insiste Jefferson, mais d'une voix devenue subitement mielleuse, certainement affecté par son intervention.

          
        - Pour que nous vous les remettions, il faudrait que nous les ayons...! tente à présent d'argumenter Winter, qui semble avoir retrouvé un soupçon d'assurance.

          
        - Faites taire votre hypocrisie professeur. Nous savons parfaitement que votre ami et confrère Javier Cabrera vous a fait parvenir ces cailloux à votre résidence de Montségur... souligne Davis avec une aigreur ironique et dont la hargne semble faire partie intégrante du personnage.

          
        Winter a de nouveau retourné un regard dérouté vers Ballantine. Mais ce dernier ne laisse pas l'occasion au professeur de se justifier davantage.

          
        - Nous ignorons de quoi vous voulez parler… réplique-t-il sur un ton devenu percutant… Il est vrai que nous sommes venus rendre une visite de courtoisie à un ami, mais cela n'est pas votre affaire. Maintenant et au cas où vous persévéreriez dans votre indiscrétion, je me verrais dans la désagréable obligation de vous dissuader une fois pour toutes de nous importuner !

          
        Et ce disant, il s’est redressé comme un ressort, dévoilant sa carrure athlétique.

          
        L’avertissement semble avoir été correctement interprété, car les deux autres, cette fois, n’ont pas fait mine d’insister. Après un salut froid et rapide, Davis, tout en quittant la table avec son acolyte, a toutefois marqué un léger temps d’arrêt.

          
        - Ne vous inquiétez pas messieurs. On se reverra !… lance-t-il sèchement.

          
        Encore sous le coup de l'émotion et de la surprise, Ballantine prend soudainement conscience de l'aspect extrêmement étrange de ces importuns et inquiétants personnages.

          
        - Vous avez remarqué leur accoutrement, professeur !… résume-t-il, à l’instant où les deux autres quittent le bar.

          
        - Les hommes en noir dont parlait Cabrera dans son télégramme !... réalise ce dernier d'une voix chevrotante, les sourcils en accents circonflexes.

          
        - A n'en pas douter… opine Ballantine, la moue réfléchie… Mais vous avez certainement constaté que bien que la coupe en soit très démodée, leurs vêtements, par contre, semblaient curieusement neufs ! Et bien qu'ils aient tenté de dissimuler partiellement leurs visages, j'ai cru percevoir que ces curieux bonshommes étaient totalement chauves. Et qui plus est professeur, ni l'un, ni l'autre, n'avaient de sourcils, ni de cils ! Détail plus curieux encore, j'ai dénoté chez ces deux personnages comme un air de famille, comme une évidente ressemblance !

          
        - Ce qui est incompréhensible,... s’effare encore le professeur... c'est le fait que ces individus paraissent si bien renseignés et possèdent des informations à ce point détaillées à mon sujet ! Ce n'est sûrement pas Cabrera qui leur a confié qu'il m'avait expédié les pierres !

           Extrait de : Le Secret des Pierres d'Ica - 
               de Stephan LEWIS
              

Le roman est disponible en librairie, grandes surfaces et sur sites internet grand public : ALAPAGE - AMAZON - LE FURET - AUCHAN Librairie - CHAPITRE.COM - CDISCOUNT -  LOUSONNA - EYROLLES - etc ...


  Le Secret des Pierres d'Ica - de Stephan LEWIS image de couverture signée Sylvia TROLETTI

2 septembre 2011

Les Enfants des Etoiles

 Les Enfants des Etoiles

 Stephan LEWIS
 

 

Les Enfants des Etoiles - de Stephan LEWIS
     

  Résumé :

 
« Ils m’ont retrouvé ! Ils sont déjà là et ils sont hostiles ! »
Ces paroles ont été prononcées par un passager affolé du vol BA 5061 British Airways en provenance de Manchester et à destination de Perpignan. De quoi surprendre Dany Ballantine, installé confortablement sur le siège voisin des premières classes du Boeing 747. L’inconnu lui remettra une sacoche en cuir à sa descente d’avion. Sans explication aucune.
Epaulé par son inséparable compagnon d’aventure le professeur Joseph Winter, Dany Ballantine sera une nouvelle fois amené à résoudre l’une des plus grandes énigmes de l’Humanité.

 

CHAPITRE I

       
        Rien à signaler ... Dans la nuit étoilée du 6 mai 1999, le vol British Airways BA 5061 en provenance de Manchester en Angleterre, amorce sa descente vers l'aéroport de Perpignan. Le vol s'est déroulé sans incident et le Boeing volant à 4000 pieds d'altitude se prépare à virer vers la piste 24. Le commandant de bord est aux commandes et lutte contre un vent fort de nord-ouest qui bouscule un peu son appareil, tandis que son copilote surveille les instruments de bord.

    
        Dany Ballantine, un solide gaillard de 41 ans aux yeux verts et à la carrure athlétique, portant des cheveux noirs taillés en brosse, est confortablement installé dans le salon des premières classes. Il converse tranquillement avec son ami et compatriote, le professeur Joseph Winter, éminent archéologue britannique sexagénaire au front partiellement dégarni, portant de petites lunettes cerclées d'acier sur le bout du nez. L’ambiance à bord est plutôt détendue, lorsque soudain, Ballantine qui est assis près d'un hublot, a le regard attiré par un fait des plus insolites, qui le fait même sursauter.

   
        A travers la vitre du cockpit, le commandant de bord et son copilote, témoins du même phénomène, ont subitement senti leurs pulsations s’accélérer.

    
        Une énorme masse surgie inopinément d’un nuage, semble se précipiter et fondre vers l’appareil.

     
        Surpris, les yeux agrandis par la stupeur, le pilote s’est instinctivement recroquevillé pour s’agripper aux commandes en un réflexe trahissant son désarroi. Mais son mouvement est à peine amorcé, que l’étrange objet les a déjà rejoints et distancés. Après être passé à grande vitesse sur la droite de l’avion sans engendrer lemoindre bruit, il s’est aussitôt volatilisé.

    
         Le commandant a vite réalisé que quelque chose de singulier et d’inhabituel venait de se produire, ayant mis indéniablement la sécurité de ses passagers en danger. Il s’est tourné précipitamment vers le copilote, le visage blême et décomposé.

    
        - Vous avez vu Peter !… articule-t-il d’une voix blanche, aussi tremblante qu’émotionnée.

    
        Ce dernier, le teint livide, s’est contenté de lui adresser un regard des plus significatifs. En revanche, aucun des passagers, hormis Ballantine et un homme d'une cinquantaine d'années, n'a remarqué quoi que ce soit d'anormal, sans doute en raison des faibles dimensions des hublots dont le champ de vision est extrêmement réduit.

    
        Tandis que Ballantine, à peine remis de son émotion, fait part de cette étrange et plutôt brève apparition au professeur Winter, l'équipage contacte Perpignan afin de déterminer la nature de cet incident. A savoir si le radar a signalé la présence d'un autre avion dans la zone. A leur grand étonnement, les contrôleurs aériens répondent aussitôt par la négative : Rien sur les écrans.

  
        L'homme qui a également assisté au phénomène et qui est installé devant Ballantine a bondi de son siège, subitement sujet à une panique naissante.

  
        - Vous avez vu vous aussi ?... lui lance alors notre ami, qui a remarqué son étrange comportement.

   
        Mais l’intéressé est visiblement affolé.

   
        - Ils m'ont retrouvé ! Ils sont déjà là et ils sont hostiles... réplique-t-il d'une voix quasi étranglée, les yeux hagards.

  
        Et avant que Ballantine n'ait pu ajouter un mot, l'inconnu s’est précipité vers les toilettes.

  
        - Qu'a voulu dire cet homme ?... s'étonne Winter, les sourcils en accents circonflexes.

  
        - Je l’ignore professeur… s’interroge Ballantine avec une mimique de surprise … Il a certainement assisté, comme moi, à cette succincte apparition. Mais sa réaction me surprend !

  
        - Qu'avez-vous aperçu exactement ?

  
        - A vrai dire pas grand-chose. Je n’ai guère eu le temps de me rendre compte... admet Ballantine en se passant une main ouverte dans sa courte brosse… Je suis néanmoins certain de ne pas avoir eu la berlue. J'ai la nette impression qu'un autre avion nous a frôlés.

  
        - Vous m'étonnez Dany. Chaque appareil a son propre couloir de navigation. Nous sommes à proximité du terrain et apparemment aucun passager ne semble avoir remarqué quoi que ce soit de particulier. D'ailleurs regardez ! Les hôtesses bavardent entre elles avec insouciance. Si, comme vous le supposez, un autre appareil nous avait effleurés, étant donné le risque encouru, une telle chose ne serait tout de même pas passée inaperçue ! Ne serait-ce que par les pilotes... se contente d'argumenter Winter avec un geste dérisoire.

  
        - Je ne peux qu’approuver votre raisonnement professeur. Toutefois, je reste activement persuadé qu’il s’est produit quelque chose d’insolite à l’insu des autres passagers. Je n'ai pas rêvé. D’ailleurs, l'homme qui était assis devant nous a assisté au même phénomène. Ce qui n'explique toutefois pas son curieux comportement.

  
        Entre temps, le Boeing s'est posé et les hôtesses procèdent au débarquement de ses passagers.

  
        Winter et Ballantine, sans accorder plus d'importance à l’incident, se dirigent nonchalamment vers la sortie après avoir récupéré leurs bagages.

  
        Tandis qu'ils traversent l'aéroport, l'étrange bonhomme qui avait manifesté son désarroi dans l’avion, surgit précipitamment devant eux avec l’air d’un animal traqué.

  
        - Je vous en prie. Prenez soin de ceci. Je n'ai plus le temps !... halète-t-il dans un souffle empressé, en abandonnant vivement son attaché-case entre les mains de Ballantine, sans autre formalité.

  
        Puis, sans ajouter un mot, il s’est rué vers la sortie, laissant les deux autres pour le moins interloqués.

  
        Avant qu’ils ne soient revenus de leur surprise, ils sont violemment bousculés par trois individus barbus, manifestement lancés à la poursuite de leur homme qui a déjà disparu. Ces derniers, après les avoir dévisagés sans la moindre indiscrétion et sans même proférer un seul mot d’excuses, se sont aussitôt perdus à leur tour dans la foule.

  
        - Qu'est-ce que tout cela veut dire !... s'effare le professeur, bouche bée, déconcerté et excédé par cet enchaînement de comportements indélicats des plus singuliers.

 
        - Ce type avait l'air paniqué !... réalise Ballantine qui, manifestement pris au dépourvu, contemple la sacoche d'un air surpris et plutôt embarrassé.

  
        - Il semblait surtout pressé !... souligne Winter avec une moue d’indignation, en portant à son tour son attention sur la mallette de cuir abandonnée par l’inconnu entre les mains de son ami.

  
        - Ces trois lascars, qui apparemment n’ont aucun savoir-vivre, nous ont ouvertement détaillés de la tête aux pieds ! Ils paraissaient en avoir après notre homme, si je ne m'abuse… gage Ballantine.

  
        - Peut-être avons-nous affaire à un cambrioleur !… suspecte déjà Winter avec une moue de contrariété… Vous feriez bien de vous débarrasser de cet objet sans tarder… se presse-t-il encore de recommander sur un ton circonspect.

  
        - Malgré les apparences, je crois cet homme honnête professeur. Je songe aux quelques mots qu’il m’a confiés dans l’avion : " Ils m'ont retrouvé ! Ils sont déjà là et ils sont hostiles ".

  
        - Qu’a-t-il voulu dire par là ?… relève Winter, pour le moins soupçonneux.

  
        - Je n’en ai pas la moindre idée. Mais je ne serais pas surpris qu'il y ait corrélation entre cette étrange apparition dans les airs et son attitude, si surprenante soit-elle, vis à vis de ces trois individus ! Peut-être s’agissait-il de ceux à qui il faisait allusion.

  
        - Mais pour quelle raison se serait-il dessaisi de son bien ! A supposer bien entendu que ce soit le sien… doute visiblement Winter… Ah, voici Alexander !... abrège-t-il aussitôt, en désignant d'un signe de tête son majordome qui vient de faire son apparition dans le hall de l'aéroport.

  
        - J'espère que ces messieurs ont fait bon voyage... s'enquiert le domestique avec on ne peut plus d'égard et dans la plus stricte tradition du protocole anglo-saxon, en s’empressant de les soulager d’une partie de leurs bagages.

  
        - Excellent Alexander, excellent... sourit Winter.

  
        - La voiture est au parking... indique le majordome en les précédant déjà vers la sortie.

  
        Ballantine a immédiatement repéré la luxueuse féline du professeur, une Jaguar XJ12 série III, reconnaissable entre toutes par son prestigieux design.

  
        - Tout est en ordre à la villa ?... s’informe encore prudemment Winter en prenant place près de Ballantine, à l’arrière de la confortable limousine.

   
        - Tout est prêt pourvous recevoir monsieur le professeur... assure Alexander en s’installant au volant.

    
        Puis, le véhicule prend aussitôt la direction deMontségur, pour avaler la centaine de kilomètres les séparant de cette petite bourgade de l'Ariège, où le professeur Winter possède une résidence particulière.

  
        Chemin faisant, Winter échange quelque banalité avec son majordome. Ballantine, encore sous le coup de cette surprenante rencontre, décide de jeter un œil à l'intérieur de la sacoche dont il ne sait apparemment que faire.

  
        - Je me demande comment cet homme va s'y prendre pour récupérer son bien. Il n'a assurément aucune idée de notre identité... avance Winter avec assurance.

  
        Sans apporter de réponse à la remarque faite par son ami, Ballantine a ouvert la sacoche sous le regard on ne peut plus réprobateur de celui-ci.

  
        Contre toute attente, la mallette ne révèle toutefois qu'une fiole contenant un liquide violet et épais.

  
        - A quoi cela peut-il bien servir ?... soupire-t-il en l’exhibant avec une moue de perplexité.

  
        - J'espère que nous n'avons pas fourré notre nez dans une affaire d'espionnage !... soupçonne déjà Winter en jetant un regard inquiet sur l’objet de sa prévenance.

  
        - C’est possible. Mais avouez que nous n'avons pas eu le temps de réagir. Cet homme m'a abandonné son attaché-case entre les mains avant de filer sans demander son reste, comme si tous les démons de la planète étaient à ses trousses !

  
        Durant leur conversation, la limousine est parvenue à destination.

   Il n’est pas loin de minuit, aussi se sont-ils installés dans la grande bibliothèque devant un cognac millésimé, en attendant qu’Alexander serve le repas du soir.

  
        - Que peut bien contenir cette fiole ?... murmure Ballantine, pensif, chatouillé par le démon de la curiosité.

  
        - Tout cela ne me dit rien qui vaille. J’ai bien peur que cet incident ne nous attire encore les pires ennuis... confesse Winter d'un air tracassé, en faisant toutefois claquer sa langue de satisfaction après avoir savouré une gorgée de son alcool préféré.

  
        - Nous pouvons toujours nous débarrasser du flacon... banalise Ballantine.

  
        - Ce serait risqué ! Nous ignorons la nature de son contenu. Imaginez que ce soit une arme bactériologique !... anticipe déjà Winter avec une grimace de contrariété.

  
        - Vous avez raison professeur. L'idéal serait de le faire analyser.

  
        - C'est ce que nous aurions de mieux à faire, attendu que de toute évidence son propriétaire n'est pas prêt de se manifester. Il aura bien de la peine à nous retrouver.

  
        Le timbre d’appel du téléphone vient de résonner, mettant un terme à leur échange de propos. Le majordome du professeur l’informe aussitôt que la personne qui se tient au bout du fil, mais qui n'a pas daigné décliner son identité, souhaite l'entretenir d'une chose grave et urgente.

  
        Winter a haussé les sourcils. Qui peut bien le déranger à cette heure tardive ? Après une légère hésitation, il s’est saisi du combiné que lui présentait son domestique.

  
        - Allô … Ici le professeur Winter.

  
        Une voix anonyme, aussi empressée qu’angoissée, se manifeste aussitôt à l'autre bout du fil.

  
        - Pardonnez-moi de vous déranger si tardivement professeur. Je suis l'homme qui aremis l’attaché-case à la personne qui vous accompagnait à l'aéroport.

   
        - Que ! Comment !... s'effare Winter.

  
        - Je n'ai guère le temps de justifier mon comportement. Mon existence est menacée et je vais devoir raccrocher rapidement. Mais je vous conjure de mettre la sacoche en lieu sûr. La survie de la planète en dépend.  

   
        - Mais enfin, qui êtes-vous ? Et comment savez-vous qui je suis ?

  
        - Faites-moi confiance professeur.

  
        Et son correspondant a brusquement interrompu la conversation.

  
        Le combiné encore en main comme s'il ne savait qu'en faire, Winter, l’air éberlué, s’est tourné vers Ballantine. Ce dernier, ne sachant interpréter la réaction de son ami, puisque n'ayant pas assisté à ce bref échange de propos, le fixe d'un regard interrogateur.

  
        - C'était lui !... déclare Winter d'une voix chevrotante.

  
        - Vous voulez dire ... Notre homme de l'aéroport ?

  
        - Précisément. Il m'a simplement recommandé de mettre la sacoche en sécurité. Il a ajouté que l'existence de la planète en dépendait !

  
        - Ce type connaissait donc votre identité. C’est la raison pour laquelle il a pu vous joindre… présume Ballantine, perplexe… Si nous voulons éclaircir ce mystère, il nous reste à espérer qu'il se manifeste à nouveau. Et je pense qu'il le fera... gage encore notre ami, la moue réfléchie.

 

CHAPITRE II

   

        Le lendemain matin ... 7 h 22 …

     
        Winter et Ballantine prennent leur petit-déjeuner dans la grande salle à manger, ressassant les événements de la veille, lorsqu'on sonne à la porte. Alexander, qui s'est aussitôt précipité, informe le professeur qu'un homme prétendant s’appeler John Steeven désire lui parler.

  
        - John Steeven ?… s’étonne Winter qui vient à peine d’avaler sa tasse de thé.

  
        - Parfaitement monsieur le professeur. C'est bien le patronyme qu'il m'a donné.

  
        - Ce nom ne me dit rien... hésite Winter, perplexe... Bon eh bien... Faites-le donc entrer... consent-il toutefois.

  
        Un personnage d'une cinquantaine d'années, visiblement affaibli physiquement, non rasé, les cheveux ébouriffés, fait bientôt son apparition. Son visage est creusé et son regard assombri d’un voile de fatigue.

  
        - Vous !... s'est exclamé Winter qui, à l’instar de Ballantine, vient de reconnaître l'homme à la sacoche.

  
        - Mille excuses professeur Winter, ainsi que vous monsieur. Mais je n'avais pas le choix... se contente-t-il de déclarer d’une voix trahissant une fatigue intense, en cherchant un siège du regard.

  
        L’inconnu s’est exprimé en anglais avec un léger accent américain, ne laissant aucun doute quant à sa nationalité.

  
        - Vous allez peut-être nous expliquer ?... anticipe Ballantine, en l'invitant d'un geste à prendre place auprès de lui.

  
        - Je suis venu dans cette intention… halète l’autre… Mais avant toute chose, avez-vous la sacoche ?... s'enquiert-il fébrilement dans un souffle, en se laissant aller mollement sur le siège offert.

  
        - Rassurez-vous, nous l'avons conservée. Mais je crois que votre comportement mérite quelques explications !… insiste Winter sur un ton sans équivoque… Et d’abord, comment savez-vous qui je suis ?… poursuit-il d’une voix irritée.

  
        - Sachez que je suis sincèrement confus de vous importuner de la sorte et dans cette tenue. Mais je n'ai pas fermé l'œil de la nuit à cause d'eux... confesse timidement l'homme, paraissant véritablement exténué.

  
        Ballantine et Winter ont échangé des regards étonnés.

  
        - Je suis le docteur John Steeven, ingénieur chimiste à l’institut des sciences académiques de Californie... continue-t-il en déglutissant nerveusement… J'étais allé à Manchester rencontrer un ami, le professeur Sylvester Evering.

  
        - Je connais fort bien cet homme. C’est un scientifique de grande valeur... mentionne Winter.

   
        - Or, en me rendant à son domicile,… poursuit Steeven, semblant ignorer la remarque … j'apprenais qu'il venait d'être victime d'un accident de la route et qu'il était actuellement hospitalisé. Ses jours n'étaient toutefois pas en danger. Rassuré sur son état de santé, je décidais alors de me rendre seul en France, à Perpignan, au laboratoire du professeur Sébastien Jacquemart. Evering devait normalement m'y accompagner. Mais hier dans la nuit, j'étais témoin, comme votre ami, d'une chose insolite à bord du vol pour Perpignan. J'étais aussitôt contraint, à l'atterrissage, de me séparer de ma précieuse sacoche, car des individus en avaient après moi dès mon arrivée à l'aéroport.
   
        - Pourquoi tous ces mystères ! Et pour quelle raison en aurait-on après vous ?… s’étonne Ballantine… Qu'auriez-vous remarqué de si important lorsque nous étions sur le point d'atterrir ? En ce qui me concerne, je pense seulement avoir discerné un avion qui nous frôlait, c’est vrai ! Mais de là à …

   
        - Je peux vous assurer que ce que vous avez entrevu n'était pas un avion... relève Steeven avec de l'assurance dans la voix... L’objet que vous avez aperçu dans les airs en avait également après moi… poursuit-il dans un souffle.

   
        - Tout cela me semble bien étrange... sourcille Winter... S'il y a eu réellement quelque chose dont vous n'ignorez pas la nature avec l’intention de vous nuire, de quoi s'agissait-il exactement ?

   
        Steeven hésite un instant.

  
        - C’était un engin venu d'un autre monde... finit-il par lâcher du bout des lèvres.

 

  
        Extrait de : Les Enfants des Etoiles - de Stephan LEWIS

  
  
 Les Enfants des Etoiles - de Stephan LEWIS  image de couverture signée Sylvia TROLETTI        

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