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Les Histoires Fantastiques de STEPHAN LEWIS
2 septembre 2011

Le Cimetière

Le Cimetière

                                Le Cimetière 

                                                             - Stephan LEWIS -

         Il y a des cimetières, dont l’atmosphère étrange et inquiétante inspire les plus terrifiantes légendes. C’est le lieu privilégié des goules, des fantômes et des vampires.

         1er novembre 2010 … 5 h 05 du matin …

        A l’aube naissante de la Toussaint, dans une petite agglomération du nord de la France, deux adolescentes, pressées de rentrer chez elles, empruntent un raccourci passant par le vieux cimetière.

        Alice et Béatrice, deux sœurs âgées respectivement de 15 et 16 ans, reviennent d’une mémorable soirée Halloween, fêtée en compagnie de plusieurs amis. L’ambiance était chaude et la veillée s’est agréablement déroulée. C’est donc avec regret qu’elles regagnent leurs pénates.

        La nappe de brouillard qui s’étend progressivement, tel un voile impénétrable, réduit la visibilité des lieux à peine sortis des ténèbres de la nuit, les rendant plus sinistres encore. Les branches dansent comme des serpents charmés par la musique du vent. Emmitouflées dans leurs parkas, capuches rabattues et malgré l’ambiance lugubre qui s’est installée, les deux adolescentes plaisantent avec insouciance, cherchant leur chemin dans l’obscurité. Elles se remémorent ces instants merveilleux passés précédemment avec leurs amis. Elles sont alors loin d’imaginer qu’elles n’oublieront jamais cette froide nuit d’automne.

        Elles viennent de froncer les sourcils et ont interrompu leur discussion pour prêter l’oreille … Il leur a semblé percevoir un bruit étrange. Quelque chose comme une plainte, une sorte de gémissement. L’incident n’a troublé la tranquillité des lieux que l’espace d’un instant. Puis, plus rien … Le silence s’est aussitôt rétabli.

        Les deux sœurs ont échangé des regards étonnés.

        - Tu as entendu ?… souffle Alice.

        - Qu’est-ce que ça pouvait être ?… murmure Béatrice, en embrassant les alentours d’un œil inquiet et méfiant.

        - Certainement des corbeaux… imagine Alice, comme pour chercher réponse à une anxiété naissante.

         - Ou des revenants. Les fantômes se manifestent plutôt par des bruits de chaînes… plaisante Béatrice, la boutade assortie d’un frisson.

         - Ce ne sont que des croyances ridicules qui ont toujours couru les nuits d’Halloween… banalise Alice, en haussant les épaules.

         - Oui, mais … sait-on jamais… persiste Béatrice d’un ton railleur, l’œil goguenard. N’oublie pas que cette nuit est celle des superstitions. Tous les esprits surnaturels sortent de leurs repaires pour flâner dans la nuit. Démons, fantômes, revenants, sorcières, ogres, vampires, morts-vivants, momies tueuses et j’en passe, sortent de l'ombre pour chercher leurs proies ...

         - Arrête, tu me fais flipper !.. rétorque nerveusement sa sœur, manifestement peu encline à supporter les niaiseries de son aînée.

         L’oreille aux aguets et les sens à fleur de peau, les voici tout à coup attentives au moindre bruissement, scrutant longuement les ténèbres, tentant de saisir à nouveau cet étrange geignement. Mais seul le silence répond une nouvelle fois à leur attente. Tout est noir autour d’elles … Aucun bruit … Rien … Rien que ce grand silence sépulcral, faisant maintenant plus de bruit dans leurs têtes que n’importe quoi. Elles sont néanmoins certaines d’avoir entendu quelque chose. On ne saurait s’y tromper. Cet endroit paisible, qui inspire le repos et le respect, leur semble tout à coup hostile, comme animé d’une vie interne. Et elles prennent peur.

         N’étant pas spécialement amatrices de frissons, et la gorge nouée par une angoisse naissante, elles ont pressé le pas, impatientes de quitter rapidement les lieux. Etant donnée l’ambiance pour le moins angoissante, voire troublante, qui s’est installée, un simple coup de vent pourrait faire croire à une multitude de choses terrifiantes. Afin de se redonner un peu d’assurance, elles ont repris un semblant de conversation, tentant de penser à autre chose en évitant de nourrir leur imagination de sordides superstitions.

        - Ecoute !… tressaille de nouveau Alice, en agrippant le bras de sa sœur dans un mouvement trahissant son désarroi.

        - Voilà que ça recommence !… s’angoisse à son tour Béatrice, une flamme d'inquiétude dans le regard.

        Cette fois, le même bruit suspect s’est fait entendre à trois reprises, de plus en plus rapproché, comme une présence invisible, mais bien réelle … Elles redoutent brusquement que quelque chose se tienne tapie, là, quelque part, dans le royaume des ombres. La tension est montée d’un cran, se faisant plus intense. Les tombes qui les entourent semblent avoir pris un aspect sinistre, leur donnant la chair de poule. Le seuil de nervosité a été franchi. Les deux jeunes filles sont à présent sujettes à une étrange sensation, comme si tout, dans ce cimetière, les surveillait subitement. L’appréhension d'une mystérieuse présence se fait de plus en plus sentir. Et c’est un sentiment d’insécurité qui les envahit progressivement.

        - Nous ne sommes pas seules… glisse Béatrice au creux de l’oreille de sa sœur, en posant une main tremblante sur son épaule.

        - Qu’allons-nous faire !… panique déjà Alice, d’une voix crispée.

        - On bifurque sur la gauche en vitesse… lui rétorque Béatrice, en s’exécutant précipitamment.

        Affolées, jetant des regards déroutés aux alentours, elles se sont mises à courir, avec la désagréable impression de se sentir dans la peau d’un animal traqué … Lorsque soudain … des crissements sur le gravier leur ont fait dresser le poil … Le front couvert d'une sueur froide, elles ont stoppé leur course folle. L’une comme l’autre semblent terrifiées. Elles ont acquis la certitude que quelqu’un les suit … La peur au ventre, elles épient le voisinage, s’efforçant de se rassurer mutuellement …

        Il se passe sans aucun doute quelque chose d'extrêmement sinistre et menaçant dans le cimetière.

        - Là ! … s’est écriée Alice d’une voix blanche, en tendant le bras.

        La lumière blafarde diffusée succinctement par l’un des rares réverbères, leur dévoile furtivement une ombre fugitive qui a semblé se glisser entre les tombes.

        - Par ici ! … a lancé Béatrice, en saisissant sa sœur par la manche pour l’entraîner à sa suite.

        Et c’est sans demander leur reste, qu’elles ont repris leur débandade, cherchant à travers l’obscurité le chemin menant vers la sortie.

       Les poumons en feu, vacillant entre les sépultures fleuries de chrysanthèmes, elles ont à présent perdu leurs repères, ne sachant plus où elles sont, telles des aveugles perdues au milieu des tombes.

        Mais elles ont de nouveau marqué un temps d’arrêt, subitement figées dans une immobilité de statue. Quelque chose d’insolite vient de capter leurs regards. Elles fixent, avec effroi, la forme fluidique semblable à une image spectrale qui se profile dans le brouillard, à moins d’une dizaine de mètres devant elles… Elle est encore floue, mais se dirige sans bruit dans leur direction. Et le silence, qui a repris possession des lieux, leur paraît soudain plus lourd, plus oppressant, enfantant un suspense insoutenable.

        Béatrice a senti son estomac se contracter ; tandis que Alice, le visage décoloré marqué par une expression d’effroi, a laissé fuser un cri de stupeur d’entre ses lèvres. Elle a empoigné le bras de sa sœur pour le serrer convulsivement, comme pour se chercher une protection … L’une, comme l’autre, ont soudainement pris conscience que cette hantise qui les tenaillait depuis quelques minutes allait, sans plus tarder, se concrétiser en une réalité assurément insoutenable. Elles appréhendent et anticipent cette fatale rencontre avec son cortège de cauchemars terrifiants. Paralysées par la frayeur, une boule d’angoisse les empêche de déglutir et plus aucun son ne parvient à sortir de leur bouche. Et c’est avec une lueur d’effroi dans les prunelles, qu’elles observent cette singulière vision à la démarche traînante, qui s’avance et se précise, prenant corps peu à peu. Elle se révèle aussitôt être une jeune femme de taille moyenne, drapée dans un long manteau démodé à col de fourrure aux tons bleutés si intenses, qu’ils pourraient rivaliser avec ceux d’une nuit sans lune.

         - Que faites-vous ici à pareille heure ?… a lancé une voix anonyme, les faisant sursauter et émanant de cette forme ahurissante.

        Eberluées, les deux jeunes filles, dont les visages reflètent la plus extrême frayeur, ne semblent pas avoir correctement interprété le sens des paroles prononcées.

        - Je vous ai fait peur ?… s’assure aussitôt l’étrange silhouette.

        - Qui … qui êtes-vous ?… risque timidement Béatrice, les traits crispés et d’une voix étranglée.

        - Je suis celle qui règne sur ces lieux abritant les créatures de l’oubli, en quête de visiteurs nocturnes… rétorque l’insolite présence à l’intonation lugubre.

       Les deux sœurs, prises d’un tremblement incontrôlable et dont les cheveux se sont littéralement dressés sur la tête, ont pressenti leur dernière heure arrivée. Au bord des larmes et le cœur battant à un rythme endiablé, elles se sont serrées l’une contre l’autre en échangeant des regards effarés.

        L’inconnue n’a pas tardé à les rejoindre. Elle est à présent à leur côté et dégage une forte odeur corporelle écœurante. Une longue chevelure couleur de lin lui tombe jusqu'aux épaules. Elle doit friser la quarantaine. Son visage aux pommettes saillantes, fin et aussi pâle qu’un mannequin de cire, semble curieusement fait d’une porcelaine adaptée à l’obscurité.

        - Je plaisante… se presse-t-elle d’ajouter d’une voix monocorde… En fait je regagne mon domicile et je suis en retard. Mais vous ne devriez pas traîner par ici à une heure aussi tardive ! …

       - C’est que … nous revenons d’une soirée Halloween et nous rentrons à la maison. Mais nous nous sommes égarées dans le cimetière… lâche mécaniquement Béatrice du bout des lèvres, la bouche tremblante, dominant péniblement sa panique, impressionnée par cette étrange rencontre qu’elle détaille d’un regard dérouté avec une certaine appréhension.

        - Vous vous êtes donc perdues dans le brouillard… poursuit la femme au grand manteau, en les enveloppant de ses yeux noirs au regard froid.

        Durant ce bref examen silencieux, un sentiment d’insécurité s’est emparé des deux sœurs, visiblement mal à l’aise. Le regard intense que cette inconnue a posé sur elles, a quelque chose d'inhabituel, de stressant. Elles ont senti que ses yeux d’ébène les scrutaient au plus profond d'elles-mêmes.

        - La sortie n’est pas bien loin. Je vais vous guider. Je connais parfaitement les lieux… déclare-t-elle sur un ton aux inflexions des moins engageantes.

        Puis, sans rien ajouter et d’un geste approprié, l’étrange inconnue les a enjointes à la suivre …

       Et c’est submergées par une vague d’inquiétude, que les deux adolescentes, au bord des larmes, se sont senties dans l’obligation d’obtempérer.

        Le brouillard s’est encore épaissi, pour se transformer en un coton opaque. Déambulant de tombes en tombes, sans avoir échangé la moindre parole avec leur énigmatique guide, elles ont parcouru une cinquantaine de mètres. Des sépultures anciennes, à moitié écroulées, mangées par le lierre ou couvertes d'une végétation extravagante, voisinent avec des chapelles et des caveaux, inspirés des architectures les plus farfelues. Mais voici que l’inconnue au grand manteau vient de quitter l’allée qu’elles avaient empruntée, engageant les jeunes filles à la suivre. Elle s’est dirigée vers un mausolée en granit noir ornée de mosaïques. Trois anges déchus en pierre de taille, paraissant se livrer à des occupations étranges et inquiétantes, semblent en interdire l’accès. Ils incarnent visiblement le mal absolu, comme autant de divinités déchues appartenant à l’aspect obscur de la création. Elle leur a désigné l’entrée du tombeau, dont la porte en fer s’est ouverte à leur approche dans un grincement des plus sinistres.

        - C’est ici qu’est ma demeure… déclare-t-elle le plus naturellement du monde d’une voix désincarnée, à la stupéfaction des deux adolescentes, brutalement précipitées dans un océan de stupeur paralysante.

        Béatrice, l’œil dilaté par une terreur sans bornes, a senti les doigts de sa sœur se crisper sur son bras en un mouvement de terreur ; tandis qu'une onde glacée a couru le long de son échine.

        - Il est extrêmement rare de recevoir des visiteurs en ces lieux à la naissance du crépuscule, et il est temps, à présent, d’entrer rejoindre les autres… ricane l’énigmatique créature féminine avec une ironie glacée dans le son de sa voix, en rejetant sa chevelure en arrière d’un brusque coup de tête. Puis, se saisissant des deux sœurs à l’aide de ses mains blanches aux ongles démesurés, comme s’ils n'avaient pas été entretenus depuis des lustres, elles les a entraînées à sa suite dans le tombeau qui s’est refermé derrière elles.

        Les hurlements de terreur des deux jeunes sœurs, étouffés et à peine audibles, se sont vite perdus dans les méandres de la crypte de la femme au long manteau.

        - Voici la triste histoire de deux jeunes adolescentes qui vous ressemblent et qui ont fait fi des conseils de leurs parents en sortant les nuits d’Halloween … sourit la maman des deux jeunes sœurs en refermant le livre du " Cimetière – de Stephan LEWIS ", avant de le déposer sur le rayonnage de la bibliothèque.

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